Vibrations d'été
« Repensant à ces longs été d’autrefois, je me demande si je reverrai un jour les soleils qui les éclairaient ou s’ils ont achevé leur course silencieuse dans quelque remise glacée de l’univers… » Jean-Pierre Milovanoff
Vibrations d’été
Au cœur des étés qui ne sont ni canicule, ni fournaise, j’aime le moment où le soleil est à la verticale. Il est 2 heures de l’après midi, la place du village écrasée de soleil est déserte. Les volets se ferment discrètement afin de préserver la fraîcheur des maisons, comme si les existences se glissaient dans l’ombre, chacun s’isole soit disant pour faire la sieste. La circulation des automobiles est quasiment inexistante. Il semble que la vie, du moins celle des hommes et des animaux familiers ait déserté et se soit retranchée dans les profondeurs, les caves ou les arrières-cours. Les martinets qui se croisaient très haut depuis le matin, comme des planeurs avec leurs va-et- vient et petits cris incessants ont renoncé à ce trop plein de lumière et rejoint leur nichée. Ils attendent eux aussi, le soir.
Seuls, les insectes s’affairent : ici, c’est encore le Haut-Languedoc. A cette altitude, pas de cigales à la musique lancinante comme dans la plaine où elles pompent inlassablement la sève des platanes et des micocouliers, mais des mouches qui virevoltent à la recherche de nourriture et d’eau, rejetées de la pénombre de la cuisine. Par la droite et par là gauche du rideau de lin sombre, des rais de lumière s’enfoncent dans la maison, comme un concentré de voie lactée où dansent comme des lucioles, une multitude de poussières en suspension.
Par delà le mur du jardin du château, le prunier lassé par trop d’abondance a laissé choir ses Reine- Claude trop mûres qui exhalent des effluves de sirop de miel. Sur les fruits écrasés et cuits par le sol chaud, dans une musique lancinante, s’affairent des centaines de papillons bleus et noirs, des abeilles et des guêpes qui s’enfoncent dans les fruits.
Dans ce moment si particulier qui ne doit se produire que quelques jours ou quelques heures dans l’année, les odeurs sont concentrées et exacerbées par l’évaporation : les buis dont les feuilles vernies et les minuscules fleurs sèches encore chargées de pollen laissent évaporer je ne sais quel parfum indéfinissable, les roses fanées, le laurier sauce, le thym, la sauge sauvage…. Il suffit donc d’ouvrir ses sens, pour percevoir au loin, au-delà de l’incandescence du ciel, au-delà des vibrations des sauterelles, dans l’immobilité religieuse, le bêlement et les sonnailles des brebis, l’aboiement du chien de troupeau.
Oui, c’est cela : de la vibration. Pour mieux la percevoir, dans la fournaise et la solitude, j’aime gravir lentement parmi les genets, les bruyères et les noisetiers en haut du Mont Merdellou, modeste sommet des monts de Lacaune. Là où s’étale devant mes yeux, la plaine, les garrigues et les vignes. Au loin, on distingue nettement la longue ligne de l’autoroute et les mille feux des carrosseries surchauffées. Au-delà : les étangs, la ligne bleue de la mer, flanquée des minuscules pyramides blanches de la Grande Motte et du Cap d’Agde. Ce bleu se détache nettement de l’azur éthéré du ciel. Mais pour qui distingue bien, l’air semble comme décomposé en différentes strates évanescentes, plus ou moins chargées par couches successives, de faire évaporer l’humidité de la terre et peut-être de l’assécher….
Je ne suis pas étonné de vivre un mirage..
Nous nous allongeons sur la mousse dans l’ombre douce de ce vieux chêne tordu par l’hiver et la moindre brise venant de la mer est un délice sur la peau où perle la sueur.
Les mains unies, depuis notre observatoire isolé du monde, comme en apesanteur, loin des chantiers de la Ville, nous savourons encore et encore les couleurs : les blancs, les bleus, les mauves, les verts et la musique de la nature. Les paroles ne sont pas nécessaires.
Dans ce point du jour, comme dans la nuit étoilée , nous percevons le chant du monde.. On dit que la chaleur assomme, peut- être, mieux que la nuit fraîche, elle peut aussi émoustiller les sens…
Mais il me semble que déjà le mirage s’est évanoui et bien que la chaleur soit encore très intense, le soleil descend vers l’ouest et son coucher sera un autre moment de grâce.
D’autres événements plus incertains ou plus charnels, dont les contours furent masqués par une lumière excessive se sont produits depuis, mais ces courts moments de plénitude et de sensualité, où les soucis sont évacués, je les ai rarement ressentis et en été seulement, quand la nature est au maximum de sa beauté.
Dans le temps d’incertitude et d’espoir de l’adolescence, les vacances duraient 3 mois. C’était long et court à la fois. Certaines heures, même dans l’ennui et la vacuité pouvaient être un délice plein de promesses… C’était aussi avant que les champs d’éoliennes, faux moulins de Don Quichotte, ne viennent troubler un paysage qui semblait éternel.
Gérard
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