MONTPELLIER - Gérard
Mystérieux Jardin des plantes
Dans les villes, il est des lieux où j’aime trouver un peu de solitude à l’écart des bruits de chantiers et de la circulation. Il y a les églises, témoins immobiles de la vie passée et de la foi des hommes, dont les murs épais et les portes du sas d’entrée (grande porte historique aux solides ferrures, portes capitonnées, une à droite et une à gauche, au choix du fidèle ou du visiteur), isolent de la rue et permettent une respiration paisible. Il y a aussi les jardins publics dont les grands arbres centenaires qui touchent au ciel et à la terre semblent avoir toujours été là. Ils évoluent au gré des années et du cycle des saisons, mais tout cela semble immuable. Les saisons ont toujours été là. Le marron d’Inde qui tombe de l’arbre aussi. Jeu pour les enfants, il revient chaque année en automne comme les fleurs du magnolia à la fin du mois de juin.
C’est pour cette permanence, ce calme, cette alternance mystérieuse d’ombre et de lumière, ce foisonnement de vie discrète que j’aime le jardin des plantes de Montpellier. Le plus ancien jardin botanique de France.
À sa création du temps d’Henri IV, on l’appelait le jardin des simples, ce nom me plaît beaucoup, car j’y vois des gens, simples certes dans leur mode de vie, mais non dénués d’esprit et possédant l’art de soulager et guérir, cueillir gratuitement dans les allées et massifs, les herbes qui soignent, mais non : ce nom évoquait uniquement les plantes. La faculté y développa donc la culture des simples, plantes guérisseuses très réputées à l’époque. Puis, des plantes non médicinales furent ajoutées aux simples. La médecine populaire entrait en quelque sorte, à l’université toute proche.
Je vais souvent lire près de la mare aux lotus et aux nénuphars, prés de la grande serre. J’aime observer les canards et les poissons rouges, dodus, aux amples nageoires auréolées de blancs, mais aussi les enfants qui y jouent. Parfois, il y a des familles qui se disputent. On croise souvent les mêmes personnes, notamment des petits vieux solitaires. Un sourire, quelques mots de conversation. « Il fait beau, il fait humide… » pas plus, pour ne pas déranger la nature, grenouilles et oiseaux… la mésange dans le grand chêne.
Au détour des allées, propices aux confidences des amoureux, on peut y voir aussi, les vestiges d’une riche fréquentation passée.
François Rabelais a étudié la médecine à Montpellier ; il a été logé chez son ami Rondelet. Le jardin évoque cet illustre personnage.
Au pied d’une modeste éminence dont l’appellation intrigue : « la montagne originelle » se dresse un monument à la gloire de Rabelais et de la « dive bouteille » ;
Derrière, on peut lire : « Vivez joyeux ». Un raccourci de Rabelais, qui paraît incongru dans ce site romantique. Difficile quand même d’imaginer ici, Gargantua dans ses festins. Métaphore de Remus et Romulus tétant la louve à Rome et béate nutrition à l’origine d’un monde. Mais bon, la rêverie n’est pas uniquement mélancolie. Fermant les yeux, j’ai quelques réminiscences de l’épopée burlesque du géant et de son père.
À deux pas, entourée de grands micocouliers et de longs rosiers anciens, une sorte de terrasse et un puits à roue dominent un petit canal : le bosquet de Narcissa qui fit rêver André Gide et Paul Valéry
là, s’ouvre une voûte au fond de laquelle on lit sur une pierre tumulaire de marbre blanc, cette inscription tirée des « nourritures terrestres » de Gide : « Placandis Narcisse, manibus » ce qui veut dire « pour apaiser les mânes de Narcissa ». Bien compliqués ces écrivains ! mânes veut dire en latin, l’âme des morts.
C’est sous cette voûte que la tradition place la sépulture de la fille du poète anglais Edward Young, Narcissa, qui mourut à Montpellier.
Lieu parfaitement romantique certes, tradition, légende ? Cette inscription me paraît toutefois chargée d’un mystère inquiétant. On dit que le poète aurait enseveli, de nuit, sa fille. Le spleen et les regrets siéent bien à l’endroit. Qui était cet Edward Young, qui était Narcissa au joli nom de fleur, morte en pleine jeunesse, nous dit-on, de consomption, c’est-à-dire d’un dépérissement lié probablement à la tuberculose ? Mystère à partir duquel il me plaît d’imaginer différents scénarios. L’ombre qui gagne le jardin public les soirs d’automne en facilite l’élaboration.
Cet Edward Young (1683 — 1765) dont j’ignorais l’existence, pauvre ignorant, a évoqué dans un livre la mort de sa fille à Montpellier. « La Plainte », pensées nocturnes sur la vie, la mort et l’immortalité, est une grave évocation de la disparition de Narcissa , morte loin de chez elle, à Montpellier.
Ce poète était aussi connu pour son ironie. Dans ses « satires morales sur la passion universelle » il se moquait des grands de son époque. Mais il savait aussi s’assurer leur bienveillance et grâce à eux, il pouvait se permettre de vivre dans le luxe.
Protestant, il nous dit que n’ayant pas droit à une inhumation dans un cimetière, la seule solution fut le jardin des plantes où un ouvrier nommé Banal (nom prédestiné pour le jardin des simples) creusa la fosse où la jeune fille fut déposée. Le jardinier promit de veiller sur la tombe.
Une exhumation faite peu avant la Révolution permit de mettre à jour des ossements que le professeur Vigouroux, légiste de l’époque, déclara être ceux d’une jeune fille.
Mort naturelle ou autre chose, vengeance, mise au pas par les obligés d’un poète qui en disait trop. Pas d’autopsie dans les périodes révolutionnaires… Pas de preuve tangible ?
Mais alors, pourquoi vouloir apaiser les mânes de Narcissa ?
La nuit tombe vite en ce mois de novembre… Les portes du jardin vont bientôt fermer. Peut-être le fantôme de la jeune fille rôde-t-il la nuit dans les allées, parmi les écureuils et les bambous exubérants ? Curieux voisinage que celui de Gargantua et Narcissa..
Il paraît qu’au Metropollitan de New York, on peut voir un tableau peint en 1804 évoquant l’enterrement furtif de la jolie Narcissa enveloppée dans un linceul et portée par un homme en noir fantomatique, lanterne à la main.
Gérard 16/12/2013
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