Impression d'enfance autour de Montpellier
Ma rue
J’ai des souvenirs heureux de mon enfance à Montpellier.
Nous habitions chez ma grand-mère maternelle, au numéro 54 de la rue de l’université, prés de la porte de la Blanquerie, vestige de l’enceinte moyenâgeuse. Le seul luxe de cet appartement situé au 3e étage était un balcon qui s’ouvrait sur les toits de la vieille ville et sur le ciel, laissant le champ libre à l’imaginaire. Pas encore trop d’autos qui crachouillent des gaz d’échappement . De ce promontoire, on pouvait observer à loisir, outre l’évolution joyeuse des hirondelles et des martinets, l’animation de la rue, rythmée par l’activité des commerces et des petits métiers, ainsi que par la vie estudiantine.
Le magasin d’alimentation générale Pons, aux odeurs de fruits mûrs et de jambon de Lacaune, aux bonbons Carambar, est au rez-de-chaussée. Plus haut dans la rue : l’échoppe du ferblantier (jazz du petit marteau rond sur les vieilles marmites à étamer, tap, tap, mâtiné de chansons napolitaines garanties d’origine (je crois qu’il venait vraiment d’Italie). Il était toujours très joyeux bien qu’il agaçât parfois certains riverains, dont un parent accordeur de piano -à l’oreille fine et chatouilleuse, vibrant à la note la- qui venait chaque jour à la fin du repas de midi partager le café, le libraire aux livres d’occasion Gibert, la boulangerie Fabre, au pain chaud et aux fougasses achetées de bon matin par ma grand-mère, couturière aux Galeries Lafayette. Dans la rue, beaucoup de cafés parmi lesquels : le généraliste « Chez Jules », donnant sur le boulevard, celui des étudiants en droit guindés, car futurs avocats et classés à droite , le café des carabins, futurs médecins, aux libations bruyantes et quelquefois salaces. Ceux de la fac de lettres peut-être, futurs enseignants, engagés aussi dans la fête, mais aussi dans la lutte politique plutôt à gauche, se réunissent dans un local encore plus enfumé en haut de la rue.
Les odeurs, les sonorités et parfois la musique qui montaient de la rue sont ancrées dans ma mémoire. Le tintement des bouteilles de lait déposées chez Pons, dès potron-minet, les rideaux métalliques des boutiques, la cloche de la chapelle des sœurs visitandines qui appelle les bigotes pour la messe de 7 h… bruyant direz-vous. Non : la vie de tous les jours, banale conviviale autant que de besoin - les enfants sont parfois cruels entre eux, mais je ne voyais pas de méchanceté ou de pauvreté, encore moins de haine, parmi la population du quartier- pas de différences apparentes entre les plus aisés et les autres, pas de gestes de recul vis-à-vis de l’espagnol, de l’italien ou de l’arménien. Pour moi, les seuls notables de chair étaient le propriétaire de l’appartement qui venait percevoir le loyer, le docteur, le curé et l’institutrice…
Et puis les cris des enfants partant à l’école, Boulevard Pasteur. J’allais à l’école primaire tenue par les bonnes sœurs, rue du Chapeau Rouge, l’hiver, cape et béret enfoncé jusqu’aux oreilles.
Le tout-à-l’égout n’était pas encore répandu, puisqu’il fallait parfois enjamber les minces ruisseaux d’eaux usées qui dévalaient, selon les lessives, de la rue Sainte-Ursule. Tout cela manquait de confort, mais je n’y voyais aucun inconvénient du moment que j’étais entouré d’attention.
Viennent les annonces des petits métiers de la rue : le « peillarot » qui annonce sa collecte de peaux de lapins et de vieux tissus d’une forte voix de ténor : « peeillarooot », l’aiguiseur de couteaux et ciseaux et sa machine roulante faisant zzzz…Parfois des chanteurs de rue : on jette la pièce depuis le balcon en visant bien le chapeau. Figure du quartier, trop gentil pour effrayer les enfants, un homme un peu marginal (pas clochard, mais presque) surnommé Blanchette. Mais qui était donc cet homme affublé de ce méchant sobriquet un tantinet raciste et qui se souvient encore de lui pour perpétuer une tombe fleurie ? Je l’apprends maintenant. Pauvre colporteur noir, philosophe à sa manière, il vivait dans une cabane au bord du Lez. Dans la nuit du 26 septembre 1933, le Lez déborda, anéantissant tout sur son passage, notamment la guinguette de Monplaisir. Selon la légende, Blanchette sonnant du clairon, frappant aux portes pour réveiller une population endormie, sauva à Castelnau de nombreuses vies humaines. Au cimetière de Castelnau-le-Lez, il a sa tombe, fleurie à la Toussaint, avec une inscription pour remémorer son dévouement pour la population : «Figure de notre cité, Émilien Fleriac, dit « Blanchette" lors des crues du Lez en 1933, alerta la population et ainsi sauva bien des vies humaines. En 1955 il fut victime du fleuve. La population reconnaissante ».
Le dimanche dans les cabanes
Le dimanche , c’est le repas avec le pot-au-feu de bœuf, délicieuse viande bouillie, préparation des jours d’abondance qui remonte aux temps les plus reculés. Je ne sais pour quelles croyances de bonne santé, les enfants avaient le privilège de récurer la moelle des gros os. Le chou et les navets par contre étaient moyennement appréciés.
Je n’ai pu résister à en relever la recette :
2 kg de viande de boeuf en parts égales : paleron, gîte, os, culotte et queue.
8 carottes
8 poireaux
1/2 chou
4 navets
Pour la cuisson :
4 clous de girofle, thym, laurier, 1 branche de céleri, 1 bouquet de persil
15 grains de poivre et du gros sel
Pour la table :
cornichons et gros sel
Le bouillon agrémenté de pommes de terre et de poireaux servira aux soupes de la semaine. Gâterie en fonction de la saison : la tarte maison aux fruits coupés en hélice.
Les jours ensoleillés, lorsque les travaux de mon père à la SNCF le permettaient, nous partions en 2 roues, vers le jardin ouvrier des cheminots aux Prés d’Arènes. Le petit citadin un peu esseulé et au teint pâle y retrouvait des amis, dont la fille du voisin aux cheveux de blé. La parcelle était méticuleusement entretenue pendant le temps laissé libre par des horaires de jour et de nuit, peu commodes pour la vie de famille.
Moi, sur la moto verte neuve, une 125 Gnome et Rhône, maman en vélo de marque Dilecta, avec la corbeille sur le porte-bagages. Pas de casque, cheveux au vent , griserie de la vitesse.
Les enfants aiment les cabanes. Les grands aussi.
Chaque jardin avait son petit abri fait de bric et de broc avec des matériaux de récupération : traverses de chemin de fer, toile goudronnée pour le toit et la réserve d’eau. Le tout imprégné de la forte odeur de la créosote, produit destiné à conserver le bois, que je trouverais maintenant désagréable. Les cheminots sont des as du jardinage et du recyclage. Pas d’outils mécaniques : le travail passe directement de la main à la terre, avec la sueur pour lubrifiant, sans intermédiaire. La terre, amendée, ensemencée, arrosée, donne parfois peu, mais souvent beaucoup . Paradis à la fois proche et éloigné de la ville. Pour les enfants, c’était le lieu idéal des parties de cache- cache : dans les cabanes, derrière les outils et les sacs de pommes de terre, derrière les haies d’aubépine et de groseilliers.
Le grand luxe (et le grand frisson) consistait à braver l’interdit, car les voies de triage des wagons de marchandises jouxtaient le terrain de jeu qui nous était assigné. Pour se planquer et rêver au voyage, quoi de mieux qu’un wagon de marchandises ou de voyageurs ? Ici, la première classe est obligatoire. Voyage immobile, les yeux fixés sur l’infini des rails et le questionnement des aiguillages. Immobile, pas toujours, car le wagon accroché par la locomotive, peut partir à tout moment vers des destinations inconnues. Je vais à droite, à gauche, ou tout droit ? Grande affaire… En tout cas, grande inconscience et engueulade garantie en cas de découverte des délinquants, de la part d’agents chargés des manœuvres. Confusion et peur de mon père des conséquences vis-à-vis de ses chefs. Je pense maintenant au père de Pagnol dans le film « le château de ma mère »…
Ce n’est pas arrivé souvent, mais c’est peut être la rareté qui rend le souvenir plus tenace, nous allions à la belle saison à Palavas (pour l’iode disait ma grand-mère). Pour nous y rendre, nous prenions le petit train cher à Albert Dubout, depuis la gare située sur l’Esplanade. Il paraît qu’il a existé jusqu’à 4 classes de confort. Là, je suis dubitatif, vu le nombre de voyageurs qui montaient gratis, une fois le train en marche. Ou qui voyageaient sur les marchepieds. La vitesse de pointe devait toutefois atteindre 50 km à l’heure, dans le vert des vignes, au large de la gare de Lattes.
L’Arnel
L’été, la mer, rive gauche. Des sensations nouvelles : l’odeur du sel sur la peau dorée, les corps exceptionnellement dénudés, le maillot Vichy de la cousine Lucie. Trouble du petit citadin ? Pas encore complètement et c’était mieux ainsi. La complicité : oui.
Surtout, la pêche sur la barque de tonton Marcel et l’étang de l’Arnel. Encore l’éveil des sens : l’odeur des algues, des moules qui étincellent au soleil, le dos bleu-noir parcouru par les fils creux de calcaire blanc des vers d’eau, les mouettes qui rasent les têtes frisent la surface de l’eau, l’anguille étincelante qui un jour repartira pour pondre vers la mer des Sargasses. Prisée depuis toujours dans la région, l’anguille argentée constituait, il y a peu encore, un plat traditionnel de fin d’année. Quelquefois, une dorade qui frétille au bout de la ligne, mais surtout le muge, moins noble, mais excellent en grillade.
Ce tonton là, aimait rire, il aimait la vie. Le soir, sous la treille de la cabane de bric et de broc elle aussi, perdue au milieu d’un monde lacustre, avec en toile de fond l’ancienne cathédrale de Maguelone, parmi les moustiques et les alambics qui dansaient autour de la lampe à pétrole, ses éclats de rire tonitruants ponctuaient des histoires de pêche, de chasse à la macreuse et de guerre aussi (celle qu’il avait faite ou rêvée peut-être, lorsqu’il était cantonné en Afrique du Nord). Sa vraie colère, toute rouge, lorsqu’il évoquait le sabordage de la flotte française et les bombes des Anglais à Mers El Kebir -la faute à Darlan, ce fantoche d’amiral ! - était cependant adoucie par le récit de cuites mémorables dans les bars à matelots du port. Comme Gabin dans « un singe en hiver, il avait vu lui aussi le Yang Sté Kiang.
L’oncle Marcel était aussi chanteur et guitariste à ses heures, ce qui me fascinait. Il imitait Brassens qu’il avait bien connu, disait-il, à Sète, au tout début des années 50 avant que ce dernier ne monte à Paris. Je me souviens de la chanson, qui faisait faussement frémir les dames « gare au gorille », puis « les copains d’abord » une bande de rigolos inséparables que les aléas de la vie n’avaient pas séparé. Le vin et le pastis d’abord ! Voilà une belle devise. Je pourrai la faire mienne, pas au sens propre bien sûr. Je puise encore à cette source pour mettre les mauvais moments à leur juste place.
Il y a eu d’autres souvenirs heureux dans ma vie, les naissances et renaissances …le gris bleu aussi. Mais s’il fallait établir une hiérarchie dans la permanence, ceux de mon enfance me suivent, peut-être parce qu’ils relèvent du temps de l’innocence et qu’ils ne reviendront jamais. Pendant les vacances, on oublie tout, surtout lorsqu’on est enfant.
Pas beaucoup de souvenirs de l’école et de fin d’années scolaires, avec leurs rares félicitations, mais peu importe, les grandes vacances arrivent avec la transhumance loin des chaleurs et de la Ville, vers le haut Pays …sur les plateaux caussenards.
Il a un peu de nostalgie dans ces éclats de petits bonheurs, mais pas de regrets. Je ne suis jamais retourné dans cette cabane de l’Arnel qui est maintenant méconnaissable, transformée en pavillon résidentiel. Les petits jardins ont fait la place à la zone industrielle, le 54 rue de l’université lui a disparu, démoli lors de la rénovation de l’ancien couvent des Ursulines, tour à tour, couvent, hôpital, prison pour femmes. Maintenant… magnifique centre de Danse… Sans rapport apparent avec les petits métiers disparus et les cabanes de l’enfance.
Gérard, novembre 2013
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