Maridan-Gyres

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Le chemin de Gérard 21/03/2013

Le chemin

Je  sens la mousse , la fraise sauvage écrasée, la feuille de chêne en décomposition  qui a l’odeur du cèpe.

Les hauts buis centenaires forment un sous bois. Ils limitent l’étroit  chemin,  sur la droite comme  sur la gauche et  laissent  ça et là des trouées où pénètre la lumière de juillet par de larges lames incandescentes, magnifiées par le jaune d’or des champs de blé fraîchement moissonnés..

De ces fenêtres, je distingue au loin la « Montagne noire », en fait,  plutôt bleutée.

Je respire profondément   pour mieux ressentir la magie de ce lieu où le temps ne paraît pas laisser de traces si ce n’est celles des saisons.

Les saisons,  je peux les imaginer sur les strates de ce chemin millénaire où  passent  les pèlerins en route vers Compostelle. Il me semble que ce tronc de chêne a vu se reposer des pénitents épuisés en quête de paix et de plénitude.  Fuyaient-il comme moi  quelque chose ? quelque amour malheureuse ? une dette ? une maladie… ?

Il savaient d’où ils partaient et ils ne savaient pas toujours  où ils allaient et ce qu’ils cherchaient.. En route vers l’ouest  là où finit la terre….Finisterra en Galice…

Mais les effluves de ce sous bois contribuaient à les porter et  les faire rêver. Rêver au paradis peut-être. 

Une clé

Tiens, là par terre, une clé, une grosse et vieille clé en fer forgé. Ce n’est pas un clé banale, pas la clé d’une bergerie et je la trouve belle. Mais à qui la rendre ? c’est une clé unique ;  Qui l’a perdue doit être  bien ennuyé.  Elle pourrait ouvrir le château : celui de la belle au bois dormant,  celui de Barbe bleue.  La clé pourrait tout bêtement  mener au gîte d’étape où je pourrais soigner les ampoules de mes pieds et reposer mon corps fourbu.

Je ramasse  la clé la glisse dans la poche de mon Kway  et reprends mon chemin toujours bordé de buis.

A quelque centaines de pas un carrefour. Un panneau  indique : à droite Compostelle 1000 kilomètres, à gauche « Gîte du Bonheur » 500 m.  Bizarre  sur le panneau est dessinée la clé. Pas de sous pour me payer un gîte. Tant pis peut-être me logera t-on gratis pour ramener cette clé à son propriétaire.

Au milieu d’un bosquet  d’ormes et de hêtres, dans un halo de douce lumière et de fraîcheur qui laisse distinguer un étang chimérique, on distingue nettement  une chaumière  de style moyen âge,  comme revue et peinte  par Walt Disney du temps où dans ses films le merveilleux et la poésie prenaient le pas sur la méchanceté et la violence.  Modeste Belle au bois dormant  Pas de nains de jardins en vue  !

Un pot à eau

Mais, impossible de résister à  La source  qui coule de l’abreuvoir prés du portail. Un pot  de terre n’attend qu’à être rempli pour étancher la soif du passant..

On peut lire l’inscription suivante : « passant si tu bois à ma source, tes souffrances, tes soucis, bref ton fardeau seront allégés. Tu seras plus riche, mais pas de  richesse materielle,  tu trouveras la force de continuer ton chemin ». J’ai bu longuement comme si j’absorbais le sel de la terre.

Je m’approche du gîte d’étage et regarde les prix affichés, bigre : 80 € la nuit chambre individuelle uniquement. Dïner 20 €.  100 €, c’est mon budget pour 10 jours de voyage.  Je salue bien bas la jolie Mélusine  qui m’invite et me sourie tant que j’en oublie la clé qui m’aurait ouvert (peut –être) le jardin des délices (mais non : pas de fruit défendu pour un pèlerin !). Pas de miracle à Disneyland ! 

L’étang

Comme pour me  consoler de la déception,  j’ai nagé  longuement  dans l’étang  qui m’offrait son eau transparente,  et je  me suis assoupi  au  pied d’un grand chêne qui devait être ici depuis le  temps des druides. Fatigue, eau pure et lieu  magique… , je me suis endormi  quelques minutes, une éternité.  Le songe a été bercé par des chants de troubadours occitans accompagnés par des instruments anciens dont je ne connais pas le nom.  Je crois avoir vu de splendides créatures danser et s’approcher de moi. Elles m’ont dit que j’étais quelqu’un de bien et elles m’ont trouvé beau et plein d’avenir, moi qui suis quelconque, peu instruit et crasseux.  Cette source, ce lac auraient–elles des  vertus !  L’aubergiste et Walt Disney ne doivent pas le savoir sinon ils feraient payer très cher ce que les anciens ont écrit devant la source.

Le soleil descend vers l’horizon,  il doit être maintenant  18 h de l’heure d’été…La nature   éclate  de magnificence,  mais le charme se dissipe. Point de lit, point  de repas à la carte. Je préfère l’étang, la forêt profonde que traverse le chemin,  la  belle étoile.  Mon repas sera composé  d’un  bout de fromage sur le quignon de pain tranché avec mon vieil Opinel.

Est-ce la Mélusine de tout à l’heure ou  les créatures  entrevues dans  mon songe ,  je ne prête  pas la moindre attention au panneau « entrée interdite propriété privée, chasse gardée,  danger, tir à balles réelles »  qui marque l’entrée de la forêt.  Manquait une tête de mort, faute de peinture sûrement.

La forêt

Fini le beau chemin aux buis immortels illuminés . Le sentier s’élève doucement sur une butte et  s’enfonce dans une  forêt bien sombre où le soleil couchant a du mal à pénétrer le toit de verdure…  Point de carte, point de boussole, je fais confiance au  chemin,  sorte de  fil d’Ariane.  Si  j’ai trouvé l’entrée, je  dois trouver la sortie. Tout à l’heure, je flottais, je savais où j’allais (enfin presque).   Il est 19 h,  un peu la trouille, et l’impression de ne jamais sortir de cette nasse végétale et de tourner en rond.  Les animaux de la forêt silencieux aux heures chaudes de la journée, commencent à  s’appeler :  biches,  sangliers  et toute sortes d’oiseaux chouette, grand duc…. Une clairière,  mais pas d’arrêt possible  pour moi, des pierres disposées en cercle me rappellent les contes de mon enfance où  les sorcières, elfes,  trolls (je les mélange) qui  peuplaient la forêt se réunissaient la nuit. Pourquoi cette peur confuse, l’enfance est loin ?  Pour me tranquilliser je me dis que la forêt est beaucoup moins dangereuse que la ville et puis ce n’est pas la jungle. Les voleurs de grands chemins c’est fini. Ce que je porte sur moi n’a pas de valeur pour quelqu’un d’autre…même pas de portable à voler. J’ai peur de la solitude,  de moi peut-être,.

Le mur

 20 h 30  .  Un mur de plusieurs mètres de haut interrompt  forêt et chemin.  Je comprends que l’immense propriété s’arrête ici. Ce mur est le fait de l’homme, cela me rassure un peu  en comparaison des risques surnaturels  que mon imagination échafaudait.

Il est bien fait ce mur, à l’ancienne avec des pierres bien ajustées on dirait les remparts d’un château. Donc je ne suis pas beaucoup  avancé, j’évalue mon envie de passer la nuit ici et pas question de me retourner sur mes pas car il fait quasiment nuit.. Maudites propriétés ! prisons pour les vagabonds !

 Je distingue une énorme porte. Visiblement  mur et porte sont les restes  d’un château qui se se dressait  là voici 400 ans . Un pont-levis  commandait  l’entrée (j’ai lu cela dans le guide de voyage).  Ce château a une bien triste réputation, une histoire d’amour contrariée qui finit par l’incendie du Château et la mort des 2 amants…. Rien que de banal.

La serrure me fait penser soudainement à la clé. Miracle la porte s’ouvre sur un horizon

infini . Au loin, Toulouse et Saint Cernin ,  les Pyrénées et le col de Roncevaux. Le soleil se couche là bas vers l’ouest vers la fin des terres, vers la Galice, vers l’océan que je n’ai jamais vu… et que je verrai j’en suis certain .  Merci la clé, merci  la gourde remplie avec  l’eau merveilleuse. Je flotte, je rêve de nouveau.  Je sais maintenant où je vais… Plus que 990 km. 



04/08/2013
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