Atelier 7 - 2024 - Sujet 1
LMDM 2024-7-1
J’appelle « Porteur de lumière » tout être : homme, femme, enfant, animal, végétal, celui qui déclenche en vous : une guérison, un soulagement, un réconfort ou un accompagnement pour passer un cap difficile.
Raconter un ou plusieurs de ces porteurs de lumière.
Betty, Sallie & Gina
Sereine, apaisée, entourée de Francis son nouveau compagnon depuis quelques années, arrivée à l’automne de sa vie, Betty se souvient.
Elle a été une si grande amoureuse, une « femme à hommes ».
Des maris, des amants, elle en a tant connu, tant aimé, si mal parfois, détruisant certains de ses soupirants, trop fragiles pour la suivre dans ses extravagances.
Car Betty était séductrice, dangereuse, borderline, charmante et déroutante.
Comment ne pas avoir envie de l’aimer, de la protéger, elle qui presqu’aveugle avait besoin de la présence quotidienne d’un chien guide labrador pour la conduire et l’assister ?
Betty, capable de détruire soudainement toute relation amoureuse sans logique apparente.
Écoutons-la :
« Mon enfance a été heureuse jusqu’à mon adolescence.
Papa, un fort gaillard hongrois d’origine, était venu en France en 1939 et s’était engagé à 18 ans pour combattre les nazis avec l’armée française.
Il perdit sa jambe droite à la guerre à 19 ans et se déplaçait depuis avec une jambe artificielle.
Cette jambe, lorsqu’elle pendait occasionnellement dans la cave m’impressionnait et j’en avais très peur.
Maman, institutrice, avait quitté son métier pour épauler le commerce de mon père qui s’était beaucoup développé.
Mes parents distribuaient, entretenaient ou louaient du matériel de camping en Alsace. C’était le début des années soixante, ils vendaient quantité de tentes canadiennes et de caravanes, les français se ruaient sur les plages tous les étés, les congés payés tournaient à plein, les affaires marchaient bien.
J’avais deux frères et une sœur, j’étais la seconde.
Arrivée à l’âge de quinze ans, j’ai progressivement commencé à perdre la vue.
Mes parents ne me croyant pas, ils ont très mal réagi, il faut dire que la psychologie éducative n’était guère développée à l’époque, et que la maladie qui m’affectait était rare et méconnue.
Je suis devenue petit à petit aveugle et j’ai progressivement arrêté de manger. On me forçait, je vomissais, j’étais devenue anorexique.
Quand mon poids est descendu à moins de 32 kilos, mes parents paniqués ont enfin eu la bonne intuition, ils m’ont acheté un chien, SALLIE, une femelle boxer.
Grace à SALLIE, cette formidable chienne affective et intelligente, j’ai progressivement recommencé à m’alimenter.
Hélas j’avais perdu toute confiance en mes parents et si j’avais à nouveau dit oui à la vie, j’étais aussi devenue incontrôlable et ingérable.
Sallie
J’ai dès lors commis bien des excès, j’ai fugué, goûté aux paradis artificiels, les pires. Je me suis piqué à l’héroïne et j’ai aimé ça. Avec la poudre blanche, je ne ressentais plus rien, mon mal de vivre disparaissait.
Une amie d’enfance m’a aidée à ne pas plonger dedans, et un homme m’a permis de m’en sortir pendant plusieurs années, jusqu’à ce que je replonge dans une longue forme d’instabilité chronique.
Voguant d’amants en amants, infidèle, incapable de vivre seule, me mariant trois fois, j’ai beaucoup déménagé, pour commencer à me stabiliser lorsque notre république m’a proposé une formation professionnelle pour mal voyants.
Je suis devenue masseuse-kinésithérapeute et, à défaut de guérir les miens, je me suis mise à soigner les maux des autres.
Quelques années après moi, ma jeune sœur et mon jeune frère ont été atteint de la même cécité que moi, et les médecins ont compris : la maladie était d’origine génétique, nos deux parents étaient porteurs sains d’un gène maléfique qu’ils avaient bien malgré eux transmis à trois de leurs quatre enfants.
Pour moi, la reconnaissance était là, bien que tardive, ce qui ne m’a pas empêchée de traîner pendant longtemps ce foutu mal de vivre qui m’a rendue imprévisible et destructrice.
Merci à mes hommes, maris ou amants, sans qui je n’aurais su survivre.
Pardon à ceux que j’ai pu meurtrir.
J’ai eu successivement trois labradors guides d’aveugles, chiens porteurs de lumière, et j’ai assuré moi-même la fin de leur formation.
Nous nous sommes tant aimés.
Je rêve souvent de GINA, cette chienne exceptionnelle qui m’assistait et me protégeait au quotidien, me guidant sur les trottoirs, m’avertissant du moindre trou, de la plus petite excavation, des déviations pour travaux, des feux de signalisation.
Et je remercie SALLIE, cette merveilleuse chienne Boxer qui m’a sauvé la vie lorsqu’à seize ans j’avais cessé de m’alimenter.
Un adage populaire dit que la vie est bien faite, mais je n’y crois guère : Les chiens ne vivent qu’une quinzaine d’années... vous trouvez ça juste, vous ?
Betty, propos recueillis par JeanBat
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