Atelier 6 - 2024 - Sujet 3
Il est tard, vous lisez un livre type Stephen KING... Plongé dans ce livre angoissant, vous arrivez à un moment terrible de l’histoire lorsque quelqu’un frappe à votre porte...
Qui vient là ?
Nous étions au début du printemps, ce qui n’empêchait nullement la neige de tomber.
Après conduite sur routes délicates, j’avais mis les chaines à mon véhicule pour grimper le chemin sans issue enneigé qui menait au chalet pyrénéen que m’avait légué mon oncle.
Installé dans le rocking-chair de la grande pièce, face à la cheminée, une couverture pliée sur les genoux, j’étais en quelque sorte « au bout du monde » et appréciais cette ambiance d’isolement absolu.
Mon premier voisin, un vieux paysan de quatre-vingt printemps, habitait à plus de trois kilomètres, dans une bergerie où j’allais acheter mon lait et mon fromage de brebis.
J’étais seul, délicieusement seul, loin de TOULOUSE, de mes emmerdes et de ma vie de dingue, loin des stations de skis encombrées et agitées.
Il était environ dix-sept heures, la poudreuse tombait silencieusement, la nuit commençait à s’installer avec douceur.
J’étais serein.
Plongé dans SHINING que je m’étais bizarrement décidé à reprendre, je lisais des lignes qui me disaient que « La vie est dure. Le monde ne nous veut pas de mal, mais il ne nous veut pas de bien non plus. Il se fiche de ce qui nous arrive» lorsque trois coups frappés contre la porte en bois de l’entrée me sortirent de ma lecture.
Interloqué, j’écartais le rideau de dentelle brodé et glissais un œil par ma fenêtre : Un 4X4 de couleur sombre était garé devant le chalet.
« C’est étrange, cette voiture a réussi à monter ici sans faire de bruit, je n’ai rien entendu. »
Cette réflexion mit tous mes sens en éveil, je passais à la réserve et plaçais un outil de défense dans la cuisine, restant attentif et sur mes gardes en allant ouvrir ma porte.
- Bonsoir !
Devant moi, un bel homme de 50 ans environ, dépassant le mètre quatre-vingt, cheveux bruns courts, visage avenant, me souriait à travers de petites lunettes fines.
- Auriez-vous l’obligeance de m’héberger pour la nuit, je me suis égaré et suis fatigué après une longue route...
- Mais pourquoi êtes-vous venu vous perdre dans ce fond de vallée ariégeois ?
- Je me dirige vers l’Espagne demain en passant par Andorre, ne vous inquiétez pas, je ne souhaite pas rester, juste me reposer en attendant la fin de ce fâcheux épisode neigeux printanier que je n’avais pas imaginé.
- C’est vrai qu’il peut parfois neiger ici début avril, ce n’est pas un phénomène exceptionnel. C’est bon, vous pourrez passer la nuit ici, il y a de bons sacs de couchage, toujours utiles quand on en a besoin. Mais peut-être souhaitez-vous appeler votre famille ?
- Euh... ma famille ? En fait, je n’ai plus, je n’ai pas de famille.
- Pas ou plus ?
- Pas, excusez-moi, ma langue a fourché, je suis très fatigué.
- Voulez-vous prendre une douche ?
- Merci ! Avec plaisir, j’en rêve depuis plusieurs heures. J’ai besoin de me doucher, me laver, me décrasser, de me purifier, oui, c’est cela, de me purifier !
- ???
- J’ai fait tellement de kilomètres
- Au fait, je m’aperçois que je ne vous ai pas demandé votre nom
- Xa..., Pierre, appelez-moi Pierre
- Enchanté, moi c’est Bernard.
Pendant que Pierre se dirigeait vers la salle de bains, je filais dans la cuisine.
- Vous devez avoir faim, Pierre ?
- Oh, oui, mais je ne voudrais pas vous obliger.
- Je vais faire une omelette avec des cèpes que j’ai ramassés cet automne, j’en ai plein mes bocaux
- Merci, vous êtes trop aimable.
- Avec une petite garbure en entrée, cela ne devrait pas être trop mal. Bienvenue dans les Pyrénées !
Et alors que je commençais à préparer notre dîner, j’ai allumé la radio et soudain suis devenu blême.
Je me suis dirigé vers la salle de bains, j’entendais l’eau de la douche couler et ruisseler, et j’ai apostrophé mon invité :
- Plus de famille, c’est bien ce que vous m’avez dit, Pierre ?
- Pas de famille, oui, c’est bien ça.
- Plus de famille parce que vous avez lâchement assassiné votre femme et vos quatre enfants !
- Euh, je...
- Inutile de nier, je viens de tout entendre à la radio !
- Mais non, vous faites erreur ...
- Arrêtez de nier !
- Écoutez, ma femme et mes enfants ne souffrent plus, ils sont montés directement au ciel, ils n’ont jamais fait de mal de leur vie, ce sont des saints, alors que moi je souffre, je vis désormais avec ce péché affreux sur ma tête, c’est moi qui suis à plaindre, eux sont heureux, ils ont atteint la béatitude...
- Vous êtes un horrible monstre !
À ce moment précis, une voix s’est mise à me parler dans mon crâne, elle me disait que oui, ce n’était pas un hasard si je m’étais rendu ce jour-là dans mon chalet, que j’avais choisi ce livre, c’était la voix de Stephen KING lui-même qui me parlait, me disait que l’homme qui était entré chez moi était le mal personnifié, que c’était Satan en personne, qu’il fallait l’éradiquer de la terre pour qu’il ne recommence pas ses crimes car c’était certain, il ne pouvait que recommencer, d’ailleurs c’était moi qui allait devenir sa prochaine victime...
Je suis retourné dans la cuisine et j’ai saisi la longue hache qui me servait à couper le bois de chauffe, j’ai couru vers la salle de bains, Pierre avait fermé la porte à clef et criait au secours.
Alors, hors de moi, dans un état second, j’ai frappé, cogné contre la porte qui résistait, frappé encore plus fort, vu le bois qui éclatait, une fente s’ouvrir puis une autre, et j’ai cogné, cogné pour élargir ces fentes, j’avais un énorme sourire aux lèvres, j’étais guidé par une force surnaturelle qui me commandait de faire ce que j’avais à faire, j’entendais Pierre qui hurlait, hurlait à la mort, et il avait raison car c’est bien de cela qu’il s’agissait, j’ai passé ma tête à travers la fente et l’ai vu, terrorisé, recroquevillé dans un coin qui pleurait, puis la porte s’est écroulée, j’ai saisi ma hache et j’ai fendu le crâne de l’homme une fois, deux fois, le sang a éclaboussé tous les murs de ma salle de bains, et dans la douche, l’eau qui coulait faisait tournoyer le sang qui disparaissait par l’évacuation, faisant irrésistiblement penser à un célèbre film d’HITCHCOCK.
Le lendemain, je suis allé enterrer les restes de mon invité dans la forêt, puis j’ai descendu sa voiture jusqu’à TARBES où je l’ai vendu pour rien à un tunisien trop heureux de récupérer un véhicule en bon état qui finirait sa vie entre TATAOUINE et la frontière Lybienne.
Nous étions en avril 2011.
Depuis ce violent et bref moment d’égarement, je me suis séparé de toute ma collection de Stephen KING et j’ai exclu de ma bibliothèque ce type de littérature.
Treize ans plus tard, Xavier Pierre Marie Dupont de LIGONNÈS est toujours recherché par les enquêteurs.
Mon petit doigt me dit qu’ils ne sont pas près de le retrouver.
JeanBat
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