Maridan-Gyres

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Lac des cygnes

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Ce 15 avril 2003, à l’opéra de Toulon, sa ville natale, Sylvie ne l’oubliera jamais. Certainement le plus beau souvenir de sa vie.

Elle est danseuse étoile de la compagnie de danse  Provence-Cote d’Azur. La salle est debout. Toute la famille est là.  Papa, maman, la fratrie, les cousins venus de loin. Public acquis pour un  lac des cygnes « réussi et novateur » a dit le journaliste du Provençal.  Emue aux larmes, Sylvie n’a pu que bredouiller quelques mots convenus :

« Je pense à toute la troupe, à notre directeur artistique  Michel et surtout à ma mère,  sans laquelle je ne serai pas ici ce soir. »

Larmes de bonheur,  comme les pétales de  roses qui  tombent par larges spirales   sur la scène.

Sur le lac, cet ailleurs auquel elle aspire, le cygne blanc est la femme intouchable, la plus belle, la gagnante.  Mais le  pense t-elle  vraiment ? Le temps du travail, le temps de la passion dévorante et le temps de la vie véritable vont-ils maintenant se rejoindre ?

 

Elle se souvient du vilain petit canard de sept ans, un peu boulimique. On se moque d’elle. Il a fallu que sa mère insiste lourdement pour que le professeur accepte de lui enseigner la danse.  Sept années au conservatoire de Toulon. Le corps est martyrisé par les exercices à la barre, un deux, un deux, les pointes toujours les pointes ! Mal partout.  Terrorisée aussi par les remarques acerbes : « serre les fesses, rentre les et le ventre ! »  hurlait Mme Mathilde Granier,  une ancienne danseuse ratée.

Enfance volée, peu de moments disponibles pour la complicité avec les copines de classe. Maman veillait à tout. Semaines éreintantes. Temps minuté.

Huit heures : école. Dix-sept heures : danse puis gymnastique acrobatique, trois fois par semaine, cours de piano.

Toujours la montre, te temps. 

A quatorze ans, la voici 1er prix de danse à Toulon. Là, Mme Mathilde n’y croyait pas. Le Directeur est élogieux, la mère prend tout pour elle. Oublié le vilain petit canard ?

C’est le concours de l’Opéra de Paris. Travailler toujours danser, danser. Il est difficile d’avoir des amis dans ces conditions. Pas une minute à perdre évidemment. Mais aussi pas le temps de penser. A Paris, elle habite chez sa tante, la sœur de sa mère qui a reçu des instructions très précises. Une maniaque de l’emploi du temps chronométré. Le concours de l’Opéra de Paris est occulté,  il est déjà trop tard et il n’y a de place pour la lointaine province. L’entrée au Conservatoire laisse l’espoir de pouvoir faire carrière.  Le temps consacré au travail s’alourdit et s’accélère,…. Tic, tac,….passe la jeunesse…temps volé ?

Un copain de lycée qui en pinçait pour elle, lui a dit un jour qu’elle était formatée, téléguidée et que la danse  avait enlevé à son humanité, ce qu’elle avait donné en apparence de grâce à son corps. Sur le moment, elle n’a pas bien compris, pensant qu’il était comme les autres jeunes mâles, intéressé uniquement  pour assouvir quelque pulsion et passer un bon moment. La danse était l’essence de sa vie.

 

Les bouquets de roses et  les applaudissements sont toujours là. Le cygne blanc aussi dans son plumage éclatant.

Il va s’envoler très haut, très loin du vilain petit canard et  du cygne noir.

Le temps d’une danseuse est compté dans l’exercice de son art, mais pour le reste, Sylvie a une autre idée. Elle aime maintenant ce qu’elle fait, mais elle a compris ce soir,  que sa vraie vie ne serait pas qu’exercices, régime draconien, horaires d‘avion, les heures toujours.

Le  prince charmant n’a pas de montre. Il lui a dit : « prenons le temps de vivre ». Elle l’a suivi sur d’autres scènes.

 

Gérard 17/10/2013



26/10/2013
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