Maridan-Gyres

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L'email de


Récit d'un retour aux sources familiales

Le train régional de la Trenitalia vient de quitter la voie vers Rome pour s'enfoncer dans un vallon étroit parcouru par un ruisseau à sec. Après un premier tunnel, l'air devient plus frais que ce qu'il n'était à Cassino d'où j'arrive. La voie ferrée grimpe doucement vers les Abruzzes. Dans ma tête, Serge Reggiani chante :

 

C'est moi, c'est l'Italien
Est-ce qu'il y a quelqu'un
est-ce qu'il y a quelqu'une

 

Vais-je trouver Fanny ? Sera-t-elle au rendez-vous ? Depuis la stazzione d'Arce, Arpino est la septième gare. J'ai oublié de compter. Le sentiment de rentrer au pays, pauvre comme Job après des années d'exil volontaire, m'envahit …

 

Mais j'ai trouvé mes allumettes
Dans une rue du Massachusetts

 

C'est la prochaine …

Io non ne posso proprio più

(Je n'en peux vraiment plus)

 

…. non, c'est Fontana Liri. Bon alors, la suivante …

 

Il est fatigant le voyage
Pour un enfant de mon âge

 

… et puis Arpino, but de mon voyage

 

Aprimi, aprimi la porta …

 

Seul le contrôleur descend avec moi : « Signore, mio padre è nato qui. Quale emozione ! ». « Moi aussi, j'y suis né et j'habite là haut ». J'aperçois quelques maisons sur un éperon rocheux qui semble occuper le foyer d'un immense amphithéâtre ouvert à l'ouest.

 

1901. Angelo Calmereale et son cousin Guiseppe ont accepté le contrat d'un rabatteur agissant pour les mines de Lorraine. Le prix du voyage aller et d'une semaine d'hôtel est avancé, à rembourser sur les premiers salaires. La France, ce sera toujours mieux d'y vendre ses bras, plutôt que de vivre misérablement ici dans le Mezziogiorno. Au matin, ils sont descendus par la route de terre jusqu'à la gare où les rails dessinent déjà leur nouvel horizon, celui de l'exode rural internationalisé. L'industrie européenne a besoin de leur bras.

 

Eh bien, me voilà parti pour faire à l'envers le chemin de Pépé, sans musette ni valise en carton, mais avec un bagage, made in Taïwan, abîmé par les services de l'aéroport et rafistolé avec des liens de fortune (une corde à linge et un foulard). En quelque sorte, c'est le retour du petit-fils prodigue ! Du moins, c'est l'image qu'il me semble donner.

 

Cela commence en douceur et c'est goudronné. Un homme prend le frais sur son pas de porte : « Buonasera signore, per andare al hotel Belsito, per favore », « à droite, c'est un raccourci qui arrive dans Arpino juste sous l'auberge, à gauche, c'est la route : quatre kilomètres ».

J'opte pour le raccourci. Bien m'en a pris, au bout du macadam, un chemin pierreux ; les roulettes de mon pauvre paquetage n'y résisteront pas. Je reviens vers la bifurcation. L'homme plein de sollicitude pour ce touriste peu ordinaire me propose de me monter en voiture. C'est ainsi que je débarque au niveau du belvédère d'Arpino vers 19h, ce 9 août 2009.

 

Depuis Rome, j'ai réservé. Je suis accueilli très strictement par la signora Loreta Iannazzi, une femme de ma génération, probablement veuve, un peu défraîchie. Tout comme l'immeuble ! Il semble ne pas avoir évolué depuis quelques années.

La chambre est simple avec un balcon orienté plein nord (super en ces périodes caniculaires pour capter la fraîcheur de la nuit). Une salle d'eau de quatre mètres carrés où bidet, WC, douche et lavabo semblent avoir été collés l'un à l'autre par quelque plombier de taille naine. Le prix est correct, bien que la prima colazione ne soit pas prévue. Je m'installe et prends mes aises.

 

Civitaveccia

Depuis le balcon, je contemple la partie nord-est de la cité dont je suis issu. Demain, il y aura quatre-vingt-onze ans que papa est né dans une maison quelque part là haut au-dessus du bourg, à Civitavecchia, où déjà quelques lumières se confondent avec les étoiles de ce ciel limpidement bleu. « Arpino ! Depuis le temps que je voulais venir. Aujourd'hui, me voilà ! »

 

Jacques-Edouard 4/11/2014

 

 

Pour info :

 

En fait, l'aventure a commencé par un courriel. Pas le genre de celui qui débute le film « Ne le dis à personne ». Là au contraire, je l'ai dite à tout le monde cette histoire d'échanges par messagerie électronique interposée.

Au mois de juin dernier, je suis obligé de m'envoyer en pièce jointe, un document de travail afin de pouvoir l'utiliser chez moi. Et là surprise ! Dans l'annuaire du ministère, il y a un autre Calmereale, une autre devrais-je écrire : Fanny Calmereale.

Illico, je lui envoie un message : « Serions-nous cousins ? » La réponse ne tarde pas : « Si votre père est né à Arpino en Italie, il y a de fortes chances que nous soyons parents ». À mon tour : « Chère cousine, mon père et mon grand-père sont nés à Arpino ». Suit un dernier message «Cher, cousin, c'est formidable. Depuis mon enfance, je vais à Arpino tous les étés pour les vacances. En pièce jointe, une photo de Civitavecchia. Et rendez-vous le 10 août à 10 heures sur la place d'Arpino» auquel je ne réponds pas, car... je reçois un coup au foie ! Quelle coïncidence ! 10 août. L'anniversaire de papa. Je transmets les messages et la photo à ma fratrie. Pour elle aussi, c'est un drôle de hasard.

 

Le blog de Jacques-Edouard : http://reactivites.blog4ever.com/

 



23/11/2014
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