Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier du 21/05/2014

Jeunesse éternelle et vie sans fin

(Conte populaire roumain)

 

 

Trois jours et trois nuits que la sultane se débattait en affreuses douleurs. Le bébé criait et pleurait dans son ventre et ne voulait pas naître. Baïazid, le père, était désespéré. C'était son premier enfant. Cent-vingt-trois épouses et aucune ne lui avait donné d'héritier. Il aurait renoncé à tous ses trésors pour voir ce petit bébé, le tenir dans ses bras fatigués par le sceptre, le regarder gambader dans la salle du trône.

- S'il te plaît, mon fils, sors et je te donnerai les plus grandes richesses du monde, une montagne de diamants, si tu veux !

Mais pleurs et cris n'arrêtaient pas.

- Sors, et je te donnerai la plus belle des plus belles princesses pour épouse.

Mais rien.

- Je te donnerai jeunesse éternelle et vie sans fin, mais sors, mon fils, je t'en supplie !

Alors le bébé se tut et naquit. C'était en effet un garçon. Les fêtes commencèrent et durèrent des mois et des mois. Le vieux sultan était heureux, comblé.

 

Les années passèrent. Soliman avait poussé tel un jeune arbre nourri par la pluie et le soleil. Plus beau, plus preux, plus généreux que lui ... ça n'existait pas.

Alors pourquoi, dans la salle du trône, le sultan Baïazid, tout seul, arrachait sa barbe grise de ses mains tremblantes. Pourquoi ? Parce que voilà deux jours que Soliman était venu le voir :

- Père, avait-il dit, l'heure est venue que tu me donnes ce pour quoi je suis né.

- Mais de quoi parles-tu, mon très cher ?

- Jeunesse éternelle et vie sans fin. Telle a été ta promesse.

- Voyons, cher fils, sois raisonnable. Cela ne se peut. Regarde-moi, sultan tout puissant, maître de tant de cités et de peuples, je n'ai pu échapper au temps ni n'échapperai à la mort.

- Si tu ne peux tenir ta promesse, je m'en irai de par le monde, chercher ma destinée.

Au fond de l'âme, il avait du chagrin, car il aimait son père. Mais c'était plus fort que lui. Il partit.

 

La veille, il était allé aux écuries, se choisir un cheval. Une pauvre femme, ratatinée et ridée comme une vieille pomme, lui donna le bonjour. Soliman s'arrêta :

 

- Bonjour, vieille mère. Permets-tu que je porte ton seau ? Puis il lui donna un dinar d'or et voulut continuer son chemin.

- Que la grâce d'Allah soit sur toi, mon prince. Ton cœur est bon, et c'est chose rare. Je t'aiderai à trouver ton chemin. Va dans l'écurie avec un plat de braises et offre-le aux chevaux. C'est le cheval qui en mangera que tu devras choisir.

 

Soliman suivit son conseil. La vieille rosse qui approcha le plat de braises semblait prête à rendre l'âme. Mais une fois qu'elle eût mangé les charbons ardents, elle se secoua, sa peau tomba et une paire d'ailes lui poussèrent qui arrivaient au toit du sérail.

 

- Viens, mon prince.Toi qui es sage et courageux, qui sais respecter la vieillesse et qui as bon cœur, tu mérites de monter sur mon dos. Viens ! Je te porterai là où ton destin t'appelle !

 

Les mois passèrent comme des jours. Ils volèrent au-dessus de champs de blé, de cités dorées, de crêtes blanchies, de rivières et de mers... Lorsque le cheval descendit, fatigué, aux pans d'une forêt épaisse, Soliman sut qu'ils étaient arrivés. Mais la forêt grouillait de bêtes sauvages qui se pourléchaient déjà les babines.

 

- Viens, mon bon. Je sais que tu es fatigué. Mais aide-moi encore une fois !

 

Soliman jeta à terre tout ce qui pouvait les alourdir : les armes, la bourse, les vivres, jusqu'à ses chaussures.

 

- Allez ! Un dernier effort !

 

Le cheval souffla, emplit ses poumons d'air et sauta. Il ne pouvait plus voler bien haut. Ses sabots touchaient les arbres. Mais il y arriva quand même.

 

Les voilà dans une large clairière. Au milieu, brillant de ses murs de porphyre, de sa toiture en argent, un magnifique sérail s'élevait, haut et gracieux telle la tige d'un lys.

 

Soliman caressait avec gratitude le cou de son ami tout couvert d'écume, quand le portail s'ouvrit. Un bouquet de voix cristallines demandèrent :

 

- Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire là ?

- Je suis Soliman, fils de Baïazid, roi des rois. Je viens chercher l'éternelle jeunesse et la vie sans fin.

- Alors vous l'avez trouvée. C'est ici-même. Nous sommes contentes d'enfin partager notre bonheur avec un si beau prince.

 

Les sept sœurs étaient toutes belles comme le jour. Elles épousèrent Soliman et en devinrent encore plus belles. Car la dernière touche qui manquait à leur beauté c'était l'amour.

 

- Tu es libre d'aller où tu veux, de chasser et de te promener partout. Seulement, tu vois, là-bas, dans le creux, c'est la Vallée des Pleurs. Que jamais tu n'y mettes le pied ! Tu t'en repentirais cruellement.

 

La vie coulait doucement, au couleurs de l'arc-en-ciel. Soliman ne se lassait pas de la beauté des prés, de la fraîcheur des bois, de la grâce de ses épouses.

 

Un jour il partit à la chasse. Un chevreuil plus malin ne se laissa pas attraper, mais courut et courut, et Soliman après, jusqu'à ce qu'il se retrouve dans un endroit inconnu, inquiétant et sombre sous les derniers rayons du soleil. Un soupir lui gonfla la poitrine. Une grosse larme partit. Puis d'autres...

- Mais que m'arrive-t-il donc ?

Il était passé dans la Vallée des Pleurs.

 

(Suite en ronde de mots : mot, feu, oiseau, chemin, mettre, décomposer, vagabonder, chanter, revenir)

 

Soliman revint lentement vers le sérail, laissant vagabonder ses pensées. Sur l'étroit chemin, les feuilles se décomposaient. Ça sentait l'automne. Il n'entendait plus les oiseaux chanter.

 

Le prince retrouva ses épouses inquiètes et n'eut pas besoin de dire mot.

 

- Malheureux ! Tu es passé dans la Vallée des Pleurs !

- Oui, mes très chères. Mais ce n'est rien, je vous jure. Je ressens seulement le besoin d'aller voir mes parents. Une dernière fois. Après je reviendrai pour ne plus jamais vous quitter.

- Lumière de nos yeux, n'y va pas ! Cela fait longtemps qu'ils sont morts. Pour le nom d'Allah, n'y va pas ! Tu ne nous reviendras jamais !

- Mais non, mes si belles. Je ne serai pas long. Comprenez-moi, c'est comme un feu qui me brûle. Il faut que j'y aille !

 

Il partit. Avec son vieux compagnon. De nouveau ils volèrent au-dessus de mers, de cités … Mais comme c'était étrange ! Il ne reconnaissait plus rien. Plus ils avançaient et plus il se sentait fatigué.

 

- Voilà, dit le cheval. Nous sommes arrivés.

 

Soliman regarda tout autour, étonné. Un grand château, des étendards flottant sur les murs, brillait tout neuf à la place des jardins du sérail. Trop neuf. Un marchand passait, des pots d'huile d'olives et paniers de dattes dans sa charrette.

 

- Dites-moi, demanda Soliman, où est le sérail du sultan Baïazid ? Qu'est-il devenu ?

- Ah, mon arrière grand-père me parlait parfois de ce sultan. Son fils était parti et le vieux est mort de chagrin. Son palais n'est que poussière maintenant. Il en reste là-bas quelques vieilles pierres.

 

Soliman se dirigea vers ces vestiges. Ses jambes tremblaient. Il avait du mal à marcher.

 

- Moi, je m'arrête là, mon maître. Si tu veux retourner au pays du bonheur, viens avec moi maintenant.

- Non, attends-moi juste un peu. Je jette un coup d’œil.

 

Mais le cheval ne l'écouta pas. Il déploya ses ailes et dans peu de temps disparut.

 

Soliman ne s'en était pas aperçu. Ses mains vieilles et ridées s'efforçaient à écarter les ronces. Sur ses épaules, les cheveux de jais étaient devenus blancs. Il cherchait en vain un brin de l'ancienne splendeur de sa maison.

 

Dans un fossé, il vit une caisse en fer, rongée et rouillée par le temps. Avec un gros effort, il en souleva le couvercle. Un profond soupir sortit du coffre :

 

- Enfin ! Que cela fait longtemps que je t'attends, Soliman !

 

Une seule gifle lui donna la Mort et il tomba en poussière.

 

Gabriela 21/03/2014



26/09/2014
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