Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 3 - 2023 - sujet 4

 

Au nom de la liberté

 

Eh bien nous y voilà ! Si ce grand dadais est face à vous, transit de « trouille » à l'idée de lire quelques pages dactylographiées, vous pouvez en déduire que je suis dans l'impossibilité définitive (j'en ai bien peur) de le faire moi-même.

Dans cette magnifique boite vernie en cèdre du Liban, je repose en paix, selon l'expression consacrée, mais avant d'être arrivée au point de non-retour, j'en ai parcouru du chemin.

 

Rares, dans cette assemblée, sont ceux qui peuvent prétendre me connaître depuis ma plus tendre enfance à part Lisette. Ma douce et sage Lisette, ma sœur, si fragile et si forte, qui sans jamais me comprendre a été mon point d'ancrage, mon phare dans les pires tempêtes de mon existence !

 

Je suis née avec une cuillère en argent dans la bouche, dans une famille « d' aristos » dans laquelle, dès votre berceau, votre vie est toute tracée. Les nurses, l'internat au couvent des oiseaux, les réceptions mondaines pour cueillir le meilleur parti !  Naïvement, auréolée de ma jeunesse, j'ai cru m'échapper du carcan familial ! Mais ce fut pire ! Gaspard de Hauterive m’a exhibée comme un trophée jusqu'à ce que je ponde un héritier. N'étant plus d’aucune utilité, il m'a reléguée, quelque part dans le Perche, dans un sordide pavillon de chasse, propriété de la famille. Le froid et l'humidité ont eu raison de ma santé. Atteinte d'une phtisie galopante j'ai été envoyée en catimini dans un sanatorium en Suisse.

 

Alors que mes proches préparaient mon linceul, qui aurait pu imaginer que j'allais déployer mes ailes et prendre ma revanche sur la vie !

C'est dans ce mouroir que j'ai rencontré Paul. Pendant des mois, nous nous sommes soutenus, follement aimés. Les livres d’aventures et les revues attisaient notre imaginaire. Parfois le moral était en berne, alors pour nous réconforter nous rêvions :

 

« Quand nous sortirons d'ici, nous referons la route de la soie sur les pas de Marco Polo »

« Nous apprendrons à piloter et nous traverserons l'Atlantique »

« Nous traverserons le Sahara à dos de chameau et l'Inde à dos d'éléphant »

« Nous découvrirons une île déserte pour y vivre sans contraintes »

 

A l'automne, alors que la maladie entrait dans sa phase de rémission, Paul attrapa une mauvaise grippe. Je restai auprès de lui pendant toute son agonie. Il me donna sa boussole à gousset et me fit jurer de m'en servir pour réaliser tous les projets que nous avions élaborés ensemble.

 

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J'ai parcouru le monde... Chemin faisant, j'ai rempli des dizaines de carnets de voyages, croqué des portraits de femmes, d'hommes et d’enfants, photographié des paysages à couper le souffle. J'ai eu la chance de rencontrer des éditeurs qui ont bien voulu publier mes récits. Un producteur de documentaires m' a proposé qu'une équipe de cinéaste me suive dans mes périples... 

 

J'ai eu beaucoup de chance, j'ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. J'ai vécu ma vie comme je l'ai voulu. Je ne regrette rien et si je devais la revivre je ne changerais rien à une exception : que Paul soit à mes côtés !

 

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Le grand dadais, dégingandé, bigleux, bafouilleur, s'appelle Alexandre et je suis son fils ! Pour beaucoup d'entre vous c'est un scoop. La grande Raimigton, l’aventurière de l’extrême, la philanthrope, la protectrice de la veuve et l'orphelin et mécène à ses heures avait un fils. Vous me voyez fort étonné d'être invité à cette grande « kermesse » et encore plus qu'elle m'ait choisi pour débiter sa prose !

 

Cette femme-là, pour moi, c'est une étrangère. Je suis son fils par accident mais elle n'est pas ma mère. Je me souviens d'un fantôme qui débarquait de nulle part, tous les deux ou trois ans, avec des malles remplies d'objets bizarres. Pendant quelques jours la maison de tante Lisette était sens dessus dessous. Une faune hétéroclite envahissait toutes les pièces, piétinait les parterres fleuris et tout ce beau monde repartait comme il était arrivé.

 

Cette même faune, je la retrouve ici, ce soir ! Je reconnais des écrivains, des éditeurs, des producteurs, des peintres, des photographes, des journalistes et même un ambassadeur ! Un véritable inventaire à la Prévert. Il n'y a pas à dire, ma mère savait choisir ses amis surtout ceux qui pouvaient chanter ses louanges. Était-ce du charisme ou de la manipulation ?

 

Nous voilà donc devant un dilemme : qui était Madame Raimigton, une femme de bien reconnue à juste titre par ses pairs ou une mère indigne ?

 

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Dans l'assistance des regards incrédules s’échangent, des murmures s’élèvent. À ce moment précis, nul ne sait de quel côté penchera la balance. Les médias, quant à eux, y voient un scandale aussi spectaculaire qu'«Harry contre la famille royale » ou l'affaire « Pierre Palmade ».C’est ainsi que pour la première fois de sa vie, Alexandre devient l’objet de toutes les attentions. Il écrira sans doute sa vérité dans ses mémoires, en guise de thérapie. 

 

Occitania



14/03/2023
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