Atelier 14 - 2021 - Sujet 4
ZELDA
J’ai emménagé depuis peu dans ma nouvelle maison ! Dans le monceau de cartons à déballer, le premier qui se présente renferme les albums photos ! Je suis attirée par un livret usé par le temps, aux couleurs délavées. Une curiosité impérieuse m’envahit, tant pis pour le rangement, je vais remonter le temps ! Je reconnais l’écriture toute en pleins et en déliés de mon père : « Lucile ses toutes premières années. »
Je passe rapidement sur le bébé joufflu, sans un cheveu sur le crâne, dans une jolie petite robe au crochet probablement confectionnée par ma marraine. Je redécouvre la photo où je suis en demoiselle d’honneur, robe longue en plumetis rose pâle, avec le bibi assorti. Encore quelques pages et c’est le choc ! Zélda, ma Zélda, elle est là, sur la photo.
Surtout, ne pas se fier au paysage enneigé ! D’où je viens, il n’y a jamais eu de neige, mais à l’époque, allez savoir pourquoi, il était de bon ton d’envoyer ses vœux de bonne année avec une photo de ses enfants dans un décor hivernal !
La petite fille en robe de velours bleu marine, avec des smocks, un col et des revers de manche en dentelle sans oublier le gros nœud dans les cheveux, c’est moi. Mon âge ? Je dirais trois ou quatre ans… L’année du cliché ? 1954, tout au plus, mais je me souviens bien de ma tenue…
Zélda est aussi grande que moi. C’est la plus belle des poupées. Son visage, ses mains et ses pieds sont en porcelaine. Ses cheveux sont de vrais cheveux auburn, bouclés. Sa robe blanche en organdi est parsemée de petites fleurs de couleur rouge. Son jupon en broderie anglaise dépasse légèrement. Pour la photo, elle ne porte pas sa capeline en paille d’Italie rehaussée d’un large ruban assorti à la robe ! Ce qui n’apparaît pas non plus c’est le fauteuil à la taille de la poupée fait de bois blanc et dont le dossier est orné d’une petite baigneuse jouant avec un ballon multicolore ! Ah ! Souvenir quand tu nous tiens !…
Tableau idyllique, n’est-ce pas, que celui de Zelda et moi, unies pour la vie, pour le meilleur et pour le pire ! Mais la réalité est toute autre !
J’ignore encore aujourd’hui qui a bien pu offrir à une toute petite fille une poupée aussi fragile ! Sûrement une personne qui n’avait pas encore eu d’enfant ! Dès le retour à la maison, Zélda m’a été enlevée. Elle a été séquestrée des années durant, trônant dans la chambre de mes parents, assise bien sagement dans son fauteuil.
Durant toutes ces années, dès que la ravisseuse s’absente, je me faufile dans la pièce, je m’assois près d’elle et je l’admire, osant à peine toucher sa robe ou ses petits doigts potelés ! Et de déménagement en déménagement, Zélda a été transbahutée, mais immuablement elle réintègre chaque fois sa cage dorée, hors de ma portée !
Les années défilent jusqu’à ce jour fatidique de mai 1962 où tous les meubles sont entassés dans un conteneur direction Port-Vendres. La page de l’Algérie française s’achève, une ère nouvelle, pleine d’incertitude, s’ouvre en métropole.
Zélda, indifférente aux événements, retrouve sa place. Dans le chambardement, elle a perdu son magnifique chapeau. Elle est toujours aussi jolie avec ses joues roses et sa bouche cerise. J’ai maintenant douze ans mais je l’aime encore comme au premier jour !
Le temps passe. J’ai à présent seize ans et je suis en internat. En rentrant pour les vacances de Noël, je découvre dans ma chambre Zélda qui me sourit timidement. Elle a perdu de sa superbe. Ses cheveux, autrefois si bien coiffés, sont ternes… Par endroits ils ont même disparu complètement, dévoilant son crâne. Son visage aussi est dévasté, il ne reste plus rien de sa fraîcheur d’antan ! Elle ressemble à une vieille femme qui n’attend plus rien de la vie ! Zélda, ma pauvre Zélda ! Tu es usée ne n’avoir jamais pu donner amour et tendresse à une enfant, tu aurais sans doute eu d’autres cicatrices mais l’affection et l’adoration de cette enfant t’aurait guérie de tous tes maux. Ensemble, vous auriez passé des heures heureuses au lieu d’une existence morne et solitaire !
Tu vois Zélda, les années ont passé, je suis devenue une vieille femme et je ne t’ai pas oubliée. Qui peut dire que nous ne nous rejoindrons pas, un jour, dans un autre monde ?...
OCCITANIA
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