Atelier 3 – 2018 Les mots de Montpellier
Sujets 1 et 2
illustration Eduard Gordeev
Un trouble imperceptible m’avait saisi à l’approche de cette créature floutée qui avançait d’un pas pressé sous le déluge d’eau de ce mois de mars. Le monde semblait s’être mis au diapason de son humeur. Son visage était fermé, son front barré d’une large ride et ses yeux semblaient perdus dans son enfer personnel. Elle le dépassa très vite et disparut.
Les tourbières de mon enfance ont disparu depuis longtemps. J’ai tenté de les oublier dans les gerbes de fleurs que m’offraient les spectateurs venus m’acclamer. Traverser les ponts de la Seine par ce temps maussade, m’offre la sensation inouïe d’être encore en vie. Devant la salle qui m’encensait, d’un seul coup, l’air s’était raréfié. Je n’arrivais plus à respirer. Tout était alors revenu. Mon enfance martyrisée, mes déboires amoureux. Tous ces hommes qui juraient m’aimer et ne voyaient en moi que la « célébrité » à accrocher à leur tableau de chasse. Le coup de grâce m’avait été donné par cet article dans la presse qui mentionnait d’un ton larmoyant les aléas de ma vie sur quatre colonnes. Depuis le départ de la salle où je me produisais, je sentais une présence derrière moi. Mais je m’en moquais. J’ignorais encore où j’allais, mais j’y allais d’un pas ferme et décidé. Je ne savais pas non plus ce que serait demain, mais je me préparais au combat. Le passé était mort et enterré, je devais regarder vers l’avenir.
Moi, je me suis sauvé de chez moi. Ras-le-bol d’être battu pour un oui et pour un non. J’avais fui plus d’une semaine en forêt, enfin pour être honnête c’est plutôt un bois. Le bois de Vincennes. Je ne voulais pas qu’on me retrouve. Là, j’avais de nombreux amis. Les arbres, fidèles compagnons qui vous écoutent sans jamais vous interrompre. L’écureuil, les oiseaux, les rats, les rênes et leur famille, les renards facétieux. Et tant d’autres qui eux aussi ne parlent pas, mais écoutent, ou chantent. Ils ne jugent pas non plus. Ils ne frappent que pour se défendre, jamais pour le plaisir stupide d’être les maîtres du jeu. Au bout de huit jours, j’avais faim, une faim dévorante et je ne voulais pas manger mes amis. Alors j’étais revenu vers la ville et c’est là que je l’avais vue. Elle était sortie de l’Olympia le visage fermé en proie à des démons intérieurs. Je connais bien ce regard de bête traquée. Je l’ai eu bien souvent. Un instant fugace, nos regards se sont croisés et je m’y suis reconnu. Depuis, je la suis à distance essayant comme je peux de lui transmettre un peu de mes forces retrouvées. Elle est si belle sous son parapluie coloré. Les quais de Seine ont revêtu leurs plus beaux atours qui s’accordent à merveille à sa toilette. Les gens la croisent, mais ils ne la regardent pas. Et pourtant, j’ai l’impression qui si un seul d’entre eux la regardait, cela pourrait tout changer. Lui donner un peu du goût de vivre, d’oublier…
Moi, je sais ses larmes qui coulent en se mêlant aux gouttes de pluie. J’ignore pourquoi, mais cette femme-là, je l’aime déjà !
Je sais qu’elle aussi pourrait m’aimer. Si seulement, elle voulait bien ralentir un peu. Je suis si petit et ses jambes sont si longues qu’il me faut courir pour rester derrière elle. Je n’ose même pas faire une halte pipi sur les arbres qui bordent le quai de peur de la perdre.
- Retourne-toi, ma belle ! Regarde-moi, j’ai tant d’amour à t’offrir, on pourrait se guérir l’un avec l’autre. Moi, je sécherai tes larmes.
A-t-elle entendu sa prière muette, ou bien a-t-elle perçu le bruit de ses petites pattes qui s’arrêtaient ?
Elle stoppe… se retourne… Leurs yeux se croisent à nouveau, mais cette fois, elle le voit. Elle tend ses bras, il s’y précipite, lui lèche le visage, jappe joyeusement.
C’est fait, ces deux-là ne se quitteront plus.
Maridan 17/02/2018
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 487 autres membres