Atelier 22 - 2019 - Sujet 5
Le bel inconnu du TER
Moi c’est Daphnée, 23 ans, célibataire malgré ma recherche incessante de l’âme sœur... je dois reconnaître que je suis un peu maladroite, gaffeuse, imprévisible... Un copié-collé de Bridget Jones, si vous voyez ce que je veux dire...
Bref ! Côté cœur c’est un peu la déroute... Tenez, la dernière fois voilà comment ça s’est passé...Comme toujours j’étais en retard... Donc c’est en courant que je me dirigeai vers ce vieux TER qui devait m’emmener à Collioure, un petit port carrément sublime ! D’ailleurs j’ai entendu dire que Matisse et Picasso n’avaient pas hésité à y planter leurs chevalets ... Mais revenons à nos moutons... Un week-end de rêve en perspective... Ne rien faire si ce n’est lézarder au soleil, souffler un peu...
Le quai était bondé et je dus m’agripper à ma petite valise noire pour ne pas la perdre dans cette bousculade... Moi la rebelle, j’avais pour une fois obéi à la réglementation SNCF qui exige d’identifier tout bagage avec nom et numéro de portable ... Alors tout allait bien, de ce côté-là pas de stress. Le signal du départ venait de retentir et il me fallut jouer des coudes pour monter dans un wagon crasseux et encombré. C’est avec difficulté et en râlant un peu que je me frayai un chemin entre les sacs, les valises, les planches de surf et les bicyclettes... Je maudissais tous ces sportifs au look californien qui vénéraient le même petit coin de paradis que moi...
Dans ce désordre et cette agitation, je finis par trouver une place. Quelqu’un était assis côté fenêtre, la capuche sur la tête, le front contre la vitre.
Je lui demandai poliment si la place était libre. Il me fit un geste évasif de la main sans m’accorder un regard ni même tourner la tête.
Bon ! Le voyage ne s’annonçait pas de tout repos... Mais qu’importe... le trajet ne durerait pas longtemps, j’allais, après deux ou trois arrêts, retrouver ma petite gare, mon territoire, mon chez-moi ! c’était le week-end, le souffle retrouvé, le rythme qui redevient paisible. J’en frémissais de plaisir. Alors cette drôle de silhouette à côté de moi ne risquait pas d’entamer mon enthousiasme...
Je glissai à la hâte ma petite valise noire sous la banquette, puis le train s’ébranla et au bout de quelques minutes, nous berça de son tangage grinçant et monotone. L’être énigmatique assis à côté de moi restait appuyé contre la vitre...
Était-ce un déprimé, un timide, un misanthrope, le triste rescapé d’une chirurgie esthétique ratée, un sourd-muet, un autiste, un fugitif en cavale, un tueur en série recherché par le FBI, une star qui voyageait incognito ? Toutes les hypothèses me semblaient plausibles... J’essayais de capter des indices mais il était vêtu tout de noir, un grand manteau dissimulait sa silhouette, il portait des gants et sa capuche cachait ses cheveux ... une véritable tenue de camouflage ! Il m’intriguait...
Mine de rien, je tentais de l’observer du coin de l’œil... La nuit était tombée et derrière la vitre sombre on voyait défiler les lumières des fenêtres éclairées comme des traînées argentées. Mon voisin n’étant pas bavard, je sortis mes ear-phones et optai pour une musique techno un peu envahissante, peut-être dans l’espoir inavoué de le faire réagir... Oui ! je suis comme ça, gamine, sans-gêne, impertinente à mes heures ! un peu lourde, même ! on me l’a souvent dit... Mais on ne se change pas !
Mais là, rien ! Aucune réaction... mon voisin ne leva pas le petit doigt... Sourd, il devait être sourd... ou narcissique et il ne s’intéressait à personne... je devais essayer autre chose... Je fis tomber sur son pied le livre que je faisais semblant de lire. Là encore il ne bougea pas, ne se tourna même pas pour me dire « ce n’est rien, ne vous en faites pas ! », comme j’aurais pu m’y attendre.
Il déjouait mes ruses, un peu cousues de fil blanc c’est vrai ... J’étais au désespoir ... Lorsque le contrôleur arriva pour vérifier nos titres de transport. Je jubilai ! Là, l’inconnu allait devoir se montrer ! mais non ! Son billet avait déjà dû être contrôlé car l’agent SNCF passa son chemin avec un sourire... Et puis mes neurones se mirent en action car j’avais entendu parler d’un faux contrôleur qui sévissait sur les lignes de la région. Tout simplement vêtu de l’uniforme approprié, il voyageait gratis et ce depuis plus d’un an déjà... Alors c’était peut-être lui ? C’était la raison pour laquelle il ne se souciait pas vraiment du billet de mon inconnu... Peut-être même qu’il se réjouissait de pouvoir épargner un fraudeur éventuel... mais rien de tout cela n’était prouvé !
Un soubresaut me précipita contre mon voisin. Je sentis sa musculature athlétique tout contre moi... Je m’excusai dans l’espoir de le faire se retourner et de voir son visage. Mais l’incident ne lui arracha même pas un soupir... nos corps s’étaient frôlés... c’était curieux, cette indifférence, cette absence ! Était-il seulement un grand rêveur, perdu dans ses pensées ?
Collioure se rapprochait, j’allais devoir descendre sans avoir de réponses à mes questions... cela me contrariait... Personne ne m’attendait, j’étais libre comme l’air, alors... Je décidai de descendre après lui, même si cela devait m’emmener à des lieues de ma destination. A l’annonce de l’arrêt suivant, il se mit à fureter sous la banquette, prit sa valise et me fit signe que je devais me lever pour le laisser passer... Pas un seul mot ! Quel goujat ! Sous ses amples vêtements noirs je ne vis rien de lui, je ne vis que ses yeux bleu acier, le temps d’un éclair... et ce centième de seconde me chavira ! je restai là, les bras ballants ! Cet homme magnifique avait dû me prendre pour une petite peste... Bon ! j’avais dû l’exaspérer, j’étais incurable... Une fois de plus je ne pouvais m’en prendre qu’à moi ! Le bel oiseau s’était envolé...
A l’arrêt suivant je descendis et pris un taxi pour Collioure. Ce n’est que bien plus tard, en voulant ouvrir ma valise, que je réalisais la méprise ! J’avais bien une petite valise noire mais ce n’était pas la mienne ! Logiquement ce ne pouvait qu’être celle de mon bel étranger ! Elle comportait un N° de portable mais tenter de joindre un inconnu à 3 heures du matin, même une sans-gêne n’oserait pas ! Était-ce un coup du hasard ? La chance me souriait-elle enfin ?
***
Alors que j’en étais encore à me demander à quelle heure j’allais le contacter, c’est lui qui finalement m’appela... Où se rencontrer dans ce cas-là si ce n’est au café de la gare ? Rendez-vous fut pris pour 15 heures. Inutile de préciser que j’étais plus excitée qu’une puce !
J’arrivais avec quelques minutes de retard... Dans ces moments de séduction, il faut savoir se faire attendre... Je le trouvai assis devant un expresso...
il m’attendait, la capuche sur la tête... Je m’assis à sa gauche, comme dans le train... Allait-il jouer le replay du voyage d’hier ? Non ! cette fois il rejeta sa capuche en arrière et me regarda de ses yeux bleu acier...
J’avais des papillons au creux du ventre... Il me tendit ma valise, je lui tendis la sienne... C’est vrai que les deux petites valises se ressemblaient comme deux gouttes d’eau... Et puis ce fut un fou-rire... le courant passait bien, mon cerveau travaillait à mille à l’heure et je commençais à faire des plans sur la comète... les affres du passé n’avaient plus d’importance... Ce regard bleu acier me chamboulait totalement et je l’aurais suivi jusqu’au bout de la terre...
- Bonjour... Je suis Daphnée...
- Oui, Bonjour... Moi c’est Axel...
- Ah ! un bon point, vous n’êtes pas muet !
- Non pas du tout, pourquoi ? Tu peux me tutoyer, tu sais...
- Ok... Tu ne m’as pas adressé la parole pendant tout le voyage ! dis-je d’un ton un peu froid.
Oh la la ! Ça démarrait mal, j’allais bousiller cette petite chance... il fallait redresser la barre au plus vite... Heureusement, il prit la situation en main.
- Je ne disais rien mais je t’observais...
- Tu n’as pas daigné tourner la tête...
- Je t’ai aperçue sur le quai, j’ai espéré te voir monter dans le même wagon que moi, et puis la suite tu la connais... mais je ne t’ai pas quittée des yeux... ton reflet dans la vitre... Tu cherchais à attirer mon attention... je t’entendais penser... je t’ai suivie mentalement dans tous tes délires ! Ah, on peut dire que tu ne ressembles à personne d’autre, tu es incroyable ! Ton petit manège était émouvant... Je crois que tu seras un personnage dans un de mes prochains romans...
- Tu veux dire que tu es écrivain et que tu m’as observée parce que tu espérais faire de moi une héroïne de ton prochain best-seller ? ... Je me suis ridiculisée !
- Ce n’était pas ridicule, juste touchant et un peu flatteur aussi, je l’avoue...
- C'est là que tu as décidé d'intervenir ?
- Intervenir ?
- Oui tu voulais me revoir et tu t’es dit que parfois il faut savoir aider le destin... La valise... tu l’as fait exprès !...
- Daphnée, je suis désolé de te décevoir... la valise, c’était une simple erreur...
Alors il n’avait pas échangé de valise dans l’espoir de me retrouver ? Allions-nous en rester là ? Je ne comprenais toujours pas très bien mais, à son regard qui me fuyait et à ce bleu acier qui devenait plus sombre, je sentis qu’il y avait un mais... Une longue femme brune s’avança à grands pas vers nous et embrassa Axel... - Je te présente Raphaëlle, ma compagne, dit Axel sans ambigüité.
Je me sentis tout à coup minuscule et sans importance... Je m’étais fait un film... Le bonheur, toujours aussi capricieux, n’avait fait que me frôler... c’était la fin d’une histoire qui n’avait jamais commencé...
Voilà, vous savez tout ! je suis un copié-collé de Bridget Jones, je vous l’avais dit ! ... Bref ! Côté cœur c’est une fois de plus la déroute... Mais je ne m’avoue pas vaincue, et ce n’est pas pour autant que je vais revoir mes ambitions à la baisse et jouer les seconds rôles... Pas question de devenir la sirène d’un pêcheur ou la muse d’un peintre... Ah ça non !
Alterego
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 487 autres membres