Atelier 2 - 2023 - Sujet 4
6heures 45. Cataracte. C’est aujourd’hui le grand jour ! La nuit est noire encore. Il ne fait pas très chaud. La météo ne prévoit rien de bon aujourd’hui. Mon estomac, bien que très vide, est noué. Hier soir, par sms, j’ai eu la joie d’apprendre que mon test PCR était négatif. Je n’ai su l’imprimer comme convenu. J’ai même appelé mon amie Jo pour qu’elle m’explique comment accéder à ce document. Elle m’a rassurée puisqu’il est sur mon téléphone portable, y a pas de soucis. Mais moi je ne suis pas très douée avec les instruments modernes… Et parfois je mélange tout … N’empêche que ce truc m’a empêché de dormir sereinement.
Mon mari me dépose devant la porte du plateau ophtalmologique et rentre à la maison. Derrière mon masque et devant la secrétaire médicale, je réponds aux nombreuses questions, nom d’usage et nom de naissance, prénom, date de naissance, je présente les nombreuses pièces du dossier, carte vitale, d’identité, décharges en cas de problèmes, désignation de la personne de confiance au cas où …, déclaration comme quoi je n’ai ni mangé, ni fumé, ni mâché du chewing-gum ou croqué de bonbon, je n’ai aucun signe du covid et que je possède le résultat pcr… aïe ! Là c’est un autre problème et ma parole n’est pas suffisante. Même la déclaration de SFR ne peut le faire ! Petite intrusion dans l’oreille pour détester un soupçon de fièvre. Mais que nenni ! Je fais des économies d’énergie et ne dépasse pas les 36°5.
7 heures. Derrière moi arrive le patient suivant, démuni lui aussi du test pcr papier. Quelle aventure ! Mais je me sens moins seule du coup. Pourtant ma position de patiente démunie du sésame indispensable m’inquiète et je me demande si mon intervention va avoir lieu ou non. Les mêmes discutions s’engagent avec le patient suivant. Cette pièce étant obligatoire, il va falloir résoudre ce problème. L’introduction dans les locaux d’intervention m’est enfin autorisée. Une secrétaire munie de mon téléphone va parvenir à faire imprimer par le secrétariat du site le résultat pcr ! Sauvée !
Dans un petit local, je suis invitée à quitter intégralement tous mes vêtements, et nue comme un ver, je me glisse dans un seyant pyjama en non tisse d’un vert magnifique, charlotte rigolote sur mes cheveux gris, pieds dans des chaussons en papier plastifié taille unique, me voilà parée pour le carnaval de Rio! J’ai rangé dans mon sac vestiaire mes dernières craintes et mon angoisse. L’esprit léger, sourire dissimulé sous le masque bleu, je suis pas à pas l’adorable l’infirmière toute de bleu vêtue, masquée et charlottée, qui d’une voix chaleureuse procède encore une vérification sur mon identité, les raisons de ma présence, quel œil est l’objet de la visite, les actes des dernières heures : du dernier repas, dernière douche, dernier shampoing, lavage des dents, netteté des ongles, absence de vernis, de crème hydratante, de maquillage, de piercing, d’appareil dentaire, auditif …
Ayant répondu parfaitement à ce questionnaire à la Prévert, un sentiment confortable m’envahit : me voilà prise en charge et en considération. La jeune assistante médicale m’installe dans une salle où trônent huit fauteuils médicalisés très confortables qui sont en partie déjà occupés par d’infortunés confrères ou consœurs d’ailleurs, leur tenue très uniforme ne permettant pas de les distinguer d’un seul coup d’œil (coup d’œil : terme mal approprié pour l’endroit). Après le marquage d’une grosse croix au-dessus de l’œil objet de la manip c’est la pose du cathéter. Tout est serein, les infirmières dévouées et efficaces échangent entre elles dans un tempo respectueux et calme. L’infirmière prend ma tension. J’ai froid. Je le lui dis. Elle m’apporte aussitôt une couverture bien chaude dans laquelle je m’emmitoufle. Dans une ambiance confortable, c’est le début des gouttes oculaires et l’invitation à garder les yeux fermés.
8 heures. Dans une légère somnolence j’entends. « Ouvrez les yeux Madame, venez avec moi, on y va » Ben oui, allons-y ! Le regard embué, je regarde les autres patients qui me semblent anéantis sur leur fauteuil, les premiers les yeux fermés, les autres borgnes. C’est ce que l’on appelle les avant-après.
J’approche de la table d’opération, un nouveau binôme me prend en charge et m’invite à m’allonger sur le drap immaculé la tête posée sur un petit oreiller très accueillant, après m’avoir collé quelques électrodes sur la poitrine pour surveiller le rythme cardiaque. Un polochon est glissé sous mes genoux pour un confort optimum. Le docteur T. s’approche de moi et prend de mes nouvelles, par-dessus ma tête, elle ôte mon masque, et me précise qu’elle doit immobiliser ma tête pour l’intervention, au moyen d’une sangle frontale, après un ultime lavage des yeux et du visage. Une pince pour contrôler l’oxygène dans le sang m’emprisonne l’index gauche. Le médecin anesthésiste se présente :
« Bonjour docteur ».
Il va m’administrer le produit miracle décontractant, dans le cathéter prévu à cet effet: Joueuse j’ajoute :
« Pouvez-vous doubler la dose ?» Mais je ne peux voir ni sa réaction, ni sa tête : dommage, c’est frustrant : je sais qu’il est très beau garçon ; voir de belles choses tant qu’on peut voir… un champ opératoire recouvre mon visage, et enserre hermétiquement le tour de mon œil gauche qui totalement dilaté se refuse à jouer son rôle d’œil. Je suis bien.
C’est parti. Un liquide coule généreusement sur mon œil. Je suis très calme presque sereine. Une vive lumière le pénètre et je distingue trois petits carrés gris au milieu de ce lac lumineux. Par deux fois j’entends :
« respirez Mme N », pourtant je croyais le faire. Je donne un petit coup d’accélération à ma respiration. Quelques instants plus tard, les petits carrés s’en vont, remplacés par un carré très clair.
Le docteur T. s’exclame :
« ça y est ! » Elle décolle le champ, installe compresse et coque rigide sur l’œil opéré, détache la sangle et me confie à l’infirmière qui m’offre l’appui de son bras pour rejoindre mon fauteuil de repos et ma couverture.
8 heures 45. Une collation m’est gentiment proposée pour me réconcilier avec les plaisirs de la vie. Ma tension est à nouveau contrôlée.
Dehors le jour s’est levé, et le ciel bien couvert lâche comme un petit câlin une très belle averse de flocons blancs et duveteux, comme s’il savait que j’adore la neige. Merci.
Une heure après c’est le retour à la maison où mon mari va prendre soin de moi et de mon traitement, avec une patience angélique.
Le lendemain matin, lorsque je libère l’œil opéré de sa coque, quelle n’est pas ma surprise de voir la salle de bain éclairée par une lumière froide genre lampe led ! L’œil droit quant à lui garde une lumière bien plus chaude et terne. Mais ce n’est pas tout : je vois que mes cheveux gris sont plus blancs, et… sniff, sniff mes nombreuses rides ….
La semaine suivante le docteur T me reçoit dans son cabinet. Elle procède à tous les contrôles. Je lui fais part des couleurs et divers ressentis, elle m’explique alors qu’il y a juste cent ans en 1923, le peintre Claude Monet avait lui aussi dû subir une opération de la cataracte, cataracte qui lui avait joué bien des tours dans la réalisation de ses tableaux. Retissant, mais incité par son ami Georges Clémenceau à faire pratiquer l’opération, Claude Monet avait dû rester pas moins de dix jours l’œil obstrué par un pansement occultant. Songeuse, je pense à cet illustre peintre et ne peut oublier que l’année dernière, en admiration devant son œuvre, « la pie » sa première huile sur toile de 1869, j’ai rédigé un texte pour l’atelier d’écriture en décrivant le ressenti des diverses nuances de blanc et d’ombres. Un ange passe… vive la vue !
La médecine ayant fait de nombreux progrès en la matière… je deviendrais peut-être un peintre célèbre à mon tour ? (LOL) Faut pas rêver.
J’aurais bientôt de nouvelles lunettes.
Shunt
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