Maridan-Gyres

La feuille

Par un matin d’octobre, la feuille verte ouvre un œil et regarde autour d’elle étonnée : du blanc, partout du blanc ! Un blanc ouaté, cotonneux, humide, froid.

Elle entrevoit vaguement la branche et le contour du tronc de l’arbre.

Celui-ci lui murmure : “voici l’automne.”

La chaleur monte peu à peu et  l’écharpe de brume fuit. La feuille change de toilette et enfile une coquette robe rouge. La copine d’à côté, quant à elle, a opté pour une tenue lamé or.

Devenue pourpre, la feuille émerveillée penche témérairement la tête pour contempler la bruyère fleurie, un joli parterre mauve, et… tout à coup elle tombe ! Le vent accourt et l’emporte doucement.

La feuille voyant l’arbre nu, décharné, ne veut pas le quitter. Ce dernier lui confie ce mot extraordinaire “Liberté” et lui chuchote : “Va, profite… bientôt l'hiver. Le renouveau printanier reviendra et je retrouverai ma vigueur et une belle ramure.”

La feuille couleur feu part en tourbillonnant. Un peu folle, enivrée, elle vole, voltige au vent léger. Elle aperçoit une bogue piquante, d’un gracieux vert clair qui, à maturité, délivrera une jolie châtaigne ou un marron tout rond. Un écureuil impertinent vient chaparder un gland. Le champignon au chapeau bizarroïde exhale une agréable odeur de terre.

La feuille admire le vol de l’hirondelle, migrante, bientôt partie pour une contrée méditerranéenne. La pomme golden vire au jaune, la gala à un rouge profond et la figue devient violette.

Fatiguée, la feuille atterrit au pied de l’arbre, la pluie la lave délicatement. Comblée, elle pique un petit roupillon bénéfique. L’ami lucide veille, il connait la fin. Elle nourrira bientôt la terre et retournera à l’état brut.

La Reinette