Atelier 13 - 2024 - Sujet 12
RIFIFI à la l’Antillaise
« Hello, Marinette qu'est-ce que tu fais là, je te croyais en métropole ! »
« Çà alors ! Si je m'attendais à te voir, aujourd'hui !
Marinette, c'est ma copine depuis la maternelle, nous nous sommes suivies jusqu'au bac Ensuite la vie nous a séparées. Elle est partie à Bordeaux pour suivre des études de droit et moi je suis restée au pays seconder mon père dans son agence de tourisme. Nous voilà dix ans plus tard devant le commissariat de police de Capesterre belle eau.
« Qu'est-ce que tu viens faire chez les flics ? »
« En sortant de l'aéroport « Pôle Caraïbes » un sale type m'a chouravé mon sac à main ! Je dépose plainte pour vol à l'arraché. Et toi ?
« Je suis convoquée comme témoin dans l'accident sur la route de Bel Air ! Tu as une idée sur l’attroupement sur la place de la mairie ?»
« C'est la meilleure ! C'est moi, la « négropolitaine » qui doit te l'apprendre, alors que Toi qui habites la commune tu n'es pas au courant ! ».
En y regardant de plus près, des voitures rutilantes, des dames en robe longue et capeline, des messieurs en costumes trois pièces malgré la chaleur, une haie d'honneur de jeunes filles en fleurs nimbées de mousseline soyeuse, ça ne peut être qu'un mariage ! Sûrement pas n'importe lequel !
« Tu as une idée de qui se marie ? »
« Tu es sérieuse ? Tu n'es vraiment pas au courant ? Mais c'est l'événement du siècle ! Leslie Dormoy, de la rhumerie du même nom, se marie avec un martiniquais, Joffrey je ne sais plus qui ! … Plus de cinq cents invités sont attendus à Lamatéliane. Un wedding planner est venu spécialement de Paris avec son staff pour organiser la réception. »
« Waouh ! Regarde, là voilà ! Elle arrive en calèche, enveloppée de tulle piqué de roses rouges ! ». Sa robe est sublime, une véritable princesse ! »
Toujours devant la porte du commissariat, nous ne perdons pas une miette du spectacle. Tandis que les demoiselles d'honneur s’affairent autour de la reine d'un jour, le marié, en queue de pie grise et haut de forme, s'est glissé sur le parvis de la mairie. Il n'a pas l'air très à l'aise, il jette des regards inquiets sur la foule amassée en contrebas. Tandis que la mariée gravit les marches pour rejoindre son futur époux, Marinette, pince-sans-rire, me glisse dans le creux de l'oreille :
« Mais qu’il est moche ! Il a deux tailles de moins qu'elle. Je sais de source sûre qu'elle n'est pas un perdreau de l'année. En qualité d'unique héritière elle aurait pu se payer autre chose ! »
Lassées de tout cet étalage exhibitionniste, nous décidons de franchir la porte du commissariat. Nous sommes arrêtées dans notre élan par des hurlements hystériques. Une femme sortie de je ne sais où, suivie d'un commando hirsute muni de machettes à banane, grimpe les escaliers quatre à quatre, le visage défiguré par la colère, les bras en avant, prête à en découdre avec l’objet de sa haine. Les mercenaires tiennent la foule à distance. Tout le monde est sidéré, l'incompréhension et la peur se lisent sur leurs bouilles. Les premiers à réagir sont les témoins encore sur le trottoir, le temps qu’ils arrivent au niveau de la tigresse, celle-ci a déjà arraché le voile et s'attaque au bouquet. Je n'ose pas vous rapporter tous les noms d'oiseaux dont elle affuble cette pauvre fille engoncée dans sa robe qui ne peut que parer les coups.
Ensuite tout est allé très vite. Nous nous sommes retrouvées « sur le cul », (excusez-moi l'expression), à moitié sonnées. Tous les agents ont surgi matraque à la main, distribuant généreusement leurs coups à tout ce qui passait à leur portée, appliquant à la lettre le vieil adage : « et Dieu reconnaîtra les siens ». Maintenant tout le monde tape sur tout le monde à grand renfort d'injures.
Appelée en renfort, la gendarmerie se mêle à toute cette pagaille. Sans chercher à savoir qui a fait quoi, les gendarmes embarquent tous ceux qui leur tombent sous la main, les invités comme les fauteurs de troubles. Les policiers ont une autre approche : tout individu avec un œil au beurre noir, un nez ensanglanté, des vêtements déchirés, avec ou sans rapport avec la noce sont parqués au commissariat.
Voilà comment nous sous sommes retrouvées, Marinette et moi, dans la même cellule que la Harpie et quelques-uns de ses acolytes. Nous avons beaucoup tempêté, expliquant que nous sommes des dommages collatéraux, mais ils n’ont rien voulu savoir.
« Attendez votre tour comme tout le monde ! »
Donc nous attendons ! Les heures passent et nous sommes toujours enfermées. Comme ils nous ont confisqué les portables, nous ne pouvons avertir nos parents, ils doivent être aux quatre cents coups. Je suis sûre que ma mère doit déjà être en train d'appeler les pompiers de tout le département !
La harpie, qui s’appelle Adélaïde, s'est enfin calmée. Entre deux sanglots, elle commence à nous raconter son histoire. Le jeudi encore, le fameux Joffrey était à Fort de France. Il l'avait amenée dans un restaurant quatre étoiles pour fêter la Saint Valentin. Il lui a même offert ce magnifique bracelet en or qu'elle montre avec fierté à toute l'assemblée. Ensuite, ils sont rentrés à Case Pilote, ils sont allés embrasser les enfants avant d'aller faire « leurs petites affaires » ...
Le vendredi, il est parti en Guadeloupe pour son travail. Il devait être de retour le soir même. Vers dix-huit heures, il a appelé Adélaïde pour l'informer que son patron exigeait qu'il participe au cocktail en l'honneur de sa fille dont le mariage avait lieu le lendemain. Elle qui ne regarde jamais les journaux télévisés de Canal 10 Martinique, pour une fois, s’est installée sur le canapé avec ses garçons sans vraiment regarder l'écran.
« Maman, regarde ! Papa passe à la télé ! »
Et là stupeur ! Son Joffrey, habillé comme un pingouin, est congratulé par son patron, le magnat des rhums Dormoy, fier d'avoir un gendre aussi brillant. À son tour, le traître exprime toute sa gratitude d'entrer dans cette illustre famille et de rendre heureuse sa fiancée qui sera madame Trouillefou demain ! Sur ce, il lui claque une « pelle » magistrale sous les applaudissements des invités.
Adélaïde a vu rouge, elle a ameuté les hommes de sa famille, ils ont pris le premier avion en partance pour la Guadeloupe.
La suite, vous la connaissez !... Règlement de compte à OK Corral … Bagarre générale, descente de flics, et tout le monde se retrouve au trou.... Enfin ... tous sauf un ! Il est passé où notre copain Joffrey ? Nous, la dernière fois que nous l'avons aperçu, il était sur le parvis de la mairie avec un bouquet de fleurs à la main....
Je ne vous le cache pas, cela a été un énorme scandale. Les journaux locaux et les tabloïds métropolitains comme Voici ou Closer en ont fait leur cheval de bataille pendant des semaines et malgré tous leurs efforts, personne n'a retrouvé Joffrey ! Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Tout le monde a été à ses trousses, la famille Dormoy, les policiers, les journalistes ... De sources bien informées, beaucoup pensent qu'après son exploit il s'est enfui au Costa Rica... à moins que ce ne soit à la légion étrangère ! ….
Marinette et moi sommes restées en contact avec Adelaïde. Pendant toute la période médiatique, elle a beaucoup souffert ainsi que ses enfants. Maintenant elle se porte bien même s'il lui faudra quelques années pour refaire confiance à un homme !...
Leslie a disparu quelques mois puis elle est revenue du Mexique au bras d'un superbe Hidalgo aussi beau que stupide !...
Avec Marinette, à l'approche de la Saint Valentin où que nous soyons, nous nous remémorons, cette fameuse journée ! Malgré nous, le fou rire nous gagne ! Jamais au grand jamais, nous n’aurions pensé en nous levant ce jour-là vivre un tel vaudeville ! ….
Marie José SENESCHAL
Durban le 4 août 2024
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