Maridan-Gyres

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Atelier 11 - 2024 - Sujets 1 et 2

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Le film de ma vie.

 

La tzigane me regardait impassible. Son visage froid me figeait, mais curieusement  sans m’effrayer. Au contraire, son impavidité me rassurait, voire m’attirait avec condescendance. J’étais entré dans son stand, à cette fête foraine, attiré par son panneau à l’entrée : « Venez voir le film de votre vie, au cinéma. L’acteur principal c’est vous ». D’un simple geste de la main, elle m’invita à m’asseoir sans que nos yeux ne se quittent. Mon esprit cartésien dû reconnaître le puissant pouvoir que son regard distillait. Une douce chaleur me pénétra. Je luttais contre la domination de ces forces magnétiques irréelles. Les rapports étaient inégaux. Doucement,  je perdis pied. La tzigane gagna. Vaincu, je me laissais faire, son regard toujours planté dans le mien. Je perçu un éclair de satisfaction dans ses pupilles. Un brouillard vint de je ne sais où. Je n’étais plus maître de moi-même.

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Que l’eau était fraîche et désaltérante en ce chaud mois de juillet chez mes grands-parents. Boire à la régalade au bout de ce tuyau de jardinage, en s’aspergeant, quel régal. Le  compagnon de mes séjours campagnards, Médor, le chien de la ferme, était encore plus heureux que moi. Ma présence lui permettait de faire toutes les bêtises qui lui étaient interdites dans l’année. Aussi grand que moi et d’une force incroyable, il me protégeait des oies, poules, cochons et vaches qui auraient pu avoir tendance à jouer quelques bons tours au petit citadin pas dégourdi que j’étais.  Nous nous complétions. Nous nous adorions.

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J’avais bien la gueule des années 70, telle qu’elle apparut sur l’écran que formait l’épais brouillard. Col ouvert, cheveux en bataille, regard contestataire, moue réprobatrice, blouson de cuir. A cette époque estudiantine, les cours me poursuivaient plutôt que l’inverse. Le jour était fait pour se reposer et la nuit pour vivre, tandis que les bourgeois ronflaient. En cœur, la chanson de Brel était notre hymne, dans les rues du centre-ville. Nos idées d’un  nouveau monde accueillant,  égalitaire, solidaire, écologique, même si en ce temps ce terme n’avait pas cours, s’amplifiait à la bière que nous absorbions goulûment. De belles années remplies de liberté et d’amitié.

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En filigrane, le visage de Martine se glisse  dans ce portrait de Vermeer. Sans elle je serais resté un étudiant rêveur et un peu paumé.  Nous nous sommes rencontrés devant le panneau d’affichage des résultats de la session de juin ; nous étions tous deux dans la même section. Je l’avais bien vu dans les quelques travaux dirigés auxquels j’avais participé, sans que son image ne m’attire. Jeune fille bon chic bon genre et surtout très studieuse, qui en aucun cas ne pouvait répondre aux critères relationnels de l’étudiant dépravé que j’étais. Cette année m’avait recalé bien sûr, pour la troisième fois et là les paroles de mon père lors de ma dernière visite chez mes parents résonnaient dans ma tête : finies les études à la gaudriole ; en cas d’échec, il me caserait manutentionnaire chez un de ses amis qu’il avait déjà contacté. Peu fier de mon résultat, tel un enfant venant de casser un vase en jouant au ballon dans le salon, je me mis à pleurer dans un coin reculé de la fac. Martine m’avait suivi. Je lui racontais mon futur. Elle essuya mes yeux, épancha mon cœur et bâtit, avec toute la rigueur d’une femme décidée,  hollandaise de surcroît,  une stratégie gagnante : deux mois chez ses parents, eux-mêmes enseignants dans certaines de mes matières, elle comme répétitrice et la réussite à la session de rattrapage de septembre garantie. Mon avenir s’éclaircit. Le succès fut au rendez-vous pour toutes les années suivantes. Cupidon s’en mêla si bien, qu’un mariage couronna le retour du fils égaré, qui, au fond, était bien heureux de ce sauvetage. La joie de fonder avec Martine une famille d’amour, sans oublier ses anciens copains pour partager quelques verres de whisky dans une auberge sélecte de la ville, ignorant les étudiants braillant dans les ruelles.

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Par un doux fondu enchaîné, Elisabeth m’est apparue avec émotion. Elle était la fille des fermiers voisins de mes grands-parents. Une fois adolescent, et quelque peu dégrossi par Médor et ses amis les animaux de la ferme, mes grands-parents  me laissaient plus de liberté d’aller et venir, surtout accompagné par Elisabeth qui saurait me faire aimer ce monde de la terre. A chacun de mes séjours, nous passions toutes nos journées ensemble. Elle m’apprit à reconnaître la beauté du monde rural, sa simplicité, sa droiture. Une bonne amitié était née entre nous sans que l’un ou l’autre n’ait exprimé de sentiments plus profonds. Nous avons été nos témoins de mariage réciproques. Nous nous rencontrons régulièrement et participons aux fêtes familiales de l’un comme de l’autre. Nous avons su nourrir notre amitié.

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Au crépuscule de ma vie, ce come-back cinématographique me fit du bien. Il me rappela qu’un homme se construit avec les différentes rencontres qu’il croise au cours de sa vie, qu’il est un conglomérat des vécus dus au hasard, ou peut-être pas qui sait ? L’écran projetait maintenant un monde  surréel. Celle de notre planète en piteux état. Un oxygène défaillant, une végétation à l’agonie, un désert humain effrayant. Mon script n’était pas encore au mot fin. De nouvelles scènes m’attendaient. Sauver notre planète. Un beau challenge final.

 

Le brouillard s’était totalement dissipé. La tzigane était partie. Je restais seul dans la tente, abasourdi par mon propre film, la tête emplie des belles images de ma vie. Savoir les apprécier fait partie du bonheur.

 

Dorémi.

Juillet  2024.



09/08/2024
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