Atelier 10 - 2020 - Sujet 4
Virage
J’avais progressivement arrêté de poser ma main sur les arbres du jardin. Cette coutume, ou cette manie devrais-je dire, avait débuté très jeune dans l’enfance. Le contact du bois vert rugueux parsemé d’histoires m’en imposait à chaque fois et provoquait des réflexions stupéfiantes. C’était autant de souvenirs indélébiles, que je gardais au plus profond de moi.
Et aujourd’hui la chaleur était si intense, que le bois du banc que j’avais toujours connu était brûlant, empêchant les rapprochements du souvenir.
C’était comme si je perdais, peu à peu, une partie de mon histoire intérieure. Je m’aperçus alors, que la nature avait toujours particulièrement compté pour moi. Comme si elle était partie intégrante de moi-même, corps et âme.
En février, les jours deviennent un peu plus longs, et les aubes s’éclaircissent souvent brusquement.
Aussi loin que portait mon regard, bien au-delà de la vallée, j’apercevais des nuées d’étourneaux qui filaient vers le Sud.
Honnis et sacrés ici, ils étaient une évidence de ce paysage du Gers.
J’étais finalement un paysan, quoiqu’on attache à ce terme des significations très disparates. J’avais cette culture de la terre, de l’attachement à un Pays, qui font paraître obstiné ou incivil, alors qu’ils sont souvent le témoin d’une viscérale détermination à survivre dans des conditions de plus en plus précaires.
La voix de ma mère me revenait précieuse, douce, et si bienveillante me prévenant bien à l’avance des pièges que je rencontrerais dans la vie future ; et je me souviens avec quel dédain et quelle fierté je n’attachais que peu d’importance à ce qu’elle me disait.
J’avais tout vu à dix ans sans doute, tout connu probablement et l’orgueil démesuré qui m’habitait alors et dont je ne me suis départi que si tardivement était un rempart contre sa bonne volonté.
Je ne l’avais pas connu aussi longtemps que je l’aurais voulu tant, attiré que j’étais par les lumières de la ville, j’avais décidé très tôt de partir de chez moi.
Ainsi dès dix sept ans, je partais m’installer chez un lointain cousin qui, s’il n’avait pas été un membre de la famille, n’aurait sans doute jamais fait partie de mon cercle avancé.
Disons qu’il avait le privilège de demeurer un bel appartement au centre de Paris.
J’étais alors dans des dispositions intellectuelles bien précises : fou d’amour et une envie de goûter à la vie qui dépassait l’entendement, une vie que je ne concevais guère dans ce village qui m’avait engendré d’une certaine façon tant j’étais viscéralement attaché dans ma prime enfance à ces terres que cultivaient mes parents, à ces moutons dont ils tentaient bon an mal an d’extraire une laine de qualité. J’avais été partie pleinement prenante de cette survivance.
Mais ces années passées même si elles avaient été marquées par la tendresse et la rugosité- amour de ma mère et rudesse de mon père- me rappelaient ces arbres et leur écorce à la fois malléable mais également si dure, si froide et si mystérieuse de mon grand jardin.
Mes parents n’étaient dorénavant plus là pour exprimer des sentiments que j’aurais tant souhaité héler comme on le fait d’un taxi, j’étais en effet bien trop chargé de cette pudeur assassine qui empêche bien souvent d’exprimer suffisamment désirs et volontés.
Un reste de mon éducation religieuse qui avait interdit à l’époque, toute velléité d’expression de ma soif de connaître le monde.
Cinq ans maintenant que j’étais parti, et ces souvenirs me revenaient toujours un peu plus précis, du moins dans les moments ou mes efforts de mémoire trouvaient un aboutissement.
Dans ce Paris que j’avais découvert, il me semblait à mon arrivée être dans un monde étrange, si loin de mes moutons, de mes arbres, de cette nature encore sauvage de mon Gers natal que je passais encore de longues soirées, absorbé par des réflexions sans fin sur la conduite de la vie humaine.
J’avais au début découvert avec effarement cette vie parisienne faite de démonstrations, d’apparences et de convoitises, toutes choses qui m’étaient au départ bien étrangères. Et pourtant si vous vouliez un tant soi peu appartenir à cette vie, si vous vouliez « en être » tout simplement, vous deviez en passer par là, par ces mensonges permanents à ce que vous êtes afin d’appartenir à l’entre soi de cette bourgeoisie dites bohème et cultivée.
Par chance je gardais suffisamment de recul pour porter un regard critique sur ce que je devenais.
François
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