Maridan-Gyres

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Atelier 10 - 2017 - sujet 2

 

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Le facteur Louison prépare consciencieusement son sac de courrier à distribuer. Employé des Postes à Saint Marcel des Bois depuis son installation au village il y a quelques années avec sa jeune compagne, il distribue lettres, colis et mandats sans n’accuser jamais aucun retard.

 

Il classe méthodiquement le courrier dans sa besace dans l’ordre de sa tournée quand soudain il sursaute en remarquant une lettre adressée à la vieille Marguerite.

 

Louison maugrée un peu parce que la vieille Marguerite habite au milieu de la forêt. Habituellement, la tournée de Louison ne va pas jusque si loin.

 

La vieille Marguerite a mauvaise réputation dans le village. On parle d’elle à voix basse, à la sortie de l’église. On dit d’elle qu’elle rend des « services » aux filles dans l’embarras. On l’accuse d’être un peu folle, un peu sorcière peut-être, disent certains, qui assurent que la fumée noire qui s’échappe parfois de sa cheminée a une odeur étrange. D’autres disent qu’elle est une sorte d’ogresse, rappelant à tous la disparition de certains hommes du village …qu’on n’a jamais revus… Les parents menacent de son nom leurs enfants désobéissants

« Si tu n’es pas sage, la vieille Marguerite te prendra et te mangera ! »

On lui attribue tous les événements inexplicables du village, la maladie brutale d’un cheval, les poules qui ne pondent plus, les cloches de l’église qui sonnent toutes seules le soir…

 

Louison enfourche son vélo. Comme à l’accoutumée, il s’arrête devant chaque maison, sonne aux portes, échange avec les Saint-Marcellois quelques mots, prend des nouvelles de chacun, accepte parfois un petit café ou un petit verre, s’arrête parfois un peu plus longtemps chez Félicienne, veuve depuis peu…Louison considère que le réconfort de ses concitoyens fait aussi partie du métier. Et parfois, il n’est pas sot, Louison, il a bien remarqué qu’il plait bien aux femmes quand les maris sont partis travailler et s’il avait voulu…Antoinette, la femme du garde-champêtre…, Joséphine, la nouvelle gendarme municipale…ou Pauline , la petite institutrice… Chacune à leur manière, plus ou moins provocantes, insistantes, elles ont tenté leur chance et ont dû ravaler leur déception. Louison est fidèle à sa compagne.

 

Mais aujourd’hui, notre facteur est quand même un peu préoccupé par cette dernière lettre qu’il devra apporter à sa destinataire, au fond de la forêt. C’est l’hiver et la nuit sera sûrement déjà tombée. Louison se dit qu’il ne faudrait pas qu’il se perde dans la forêt, dans le noir tout de même. Et s’il n’y allait que le lendemain finalement, quand il fera jour ? En commençant sa tournée par la fin par exemple ? Non, ce n’est pas envisageable ; depuis toujours, la tournée de tous les facteurs de Saint Marcel des Bois s’est faite dans le même sens.

…………………………………….

Il ne reste qu’une lettre dans la besace de Louison. L’écriture sur l’enveloppe est maladroite. Des lettres majuscules, carrées, sans boucles, jambages ou autres signes de personnalité. Louison tire fierté d’être capable de déterminer, même si son expérience de facteur est encore courte, si une écriture est féminine ou masculine, si l’expéditeur d’une lettre est jeune ou âgé… Il en demande toujours confirmation auprès des destinataires des courriers, pour vérification.

 

- De quoi tu te mêles ? lui dit toujours sa compagne. Cela ne te regarde pas.

 

Mais aujourd’hui, sur l’enveloppe en question, Louison est bien incapable de dire qui est l’auteur de cette mystérieuse calligraphie..

L’adresse est très courte :

Marguerite

Forêt de Saint Marcel Des Bois

Louison rassemble tout son courage et pédale vers la forêt. Le temps est gris et il fait déjà sombre. Il suit le sentier étroit tracé dans les hautes herbes par les jupes des femmes qui viennent ici et repartent ensuite par le même chemin, libérées du poids de leur déshonneur. Marguerite habite dans le presbytère accolé à une ancienne chapelle désaffectée, presque en ruines.

Louison pousse la porte grinçante d’un petit portail et pénètre dans le jardin de la vieille femme. Il distingue quelques vieux ceps de vignes et plants de légumes, poussant sans entretien au milieu d’herbes folles. Il trébuche soudain contre un morceau de bois dépassant du sol. Non, ce n’est pas un morceau de bois, c’est une croix. Une minuscule croix, faite de deux morceaux de bois cloués perpendiculairement. Louison vient de poser le pied sur une tombe ! Ses jambes flageolent. Il en remarque une autre un peu plus loin. De nombreuses croix latines, toutes petites ou plus grandes, bien droites ou penchées, ne portant pour seule inscription que deux lettres initiales gravées au couteau, sont plantées dans le jardin-cimetière du presbytère où vit la vieille Marguerite, dont on dit tant de choses au village…

Louison appuie son vélo contre le mur et jette un œil à l’intérieur, par le carreau sale d’une fenêtre étroite. A l’intérieur, il fait presque noir. La seule lueur vient du poêle , qui rougeoie comme un phare et devant lequel se tient la vieille, un tisonnier à la main.

Elle est de dos, voûtée. De son chignon gris s’échappent quelques mèches, elle est vêtue d’une longue robe noire et attise le feu dans le poêle.   

Louison tape faiblement du bout d’un doigt au carreau. La vieille se retourne.

Elle ne semble pas surprise, ni indécise. A petits pas, elle se dirige vers la porte et laisse entrer Louison.

-Une lettre pour vous, Madame Marguerite, dit bien fort Louison, pour se donner du courage, en plongeant sa main dans sa besace.

Cette femme lui fait un peu peur, il ne sait pas pourquoi. Une drôle d’impression. Louison voudrait partir maintenant qu’il a donné la lettre. Mais la grand-mère est devant la porte et barre le passage de son corps maigre et voûté. Louison se dit qu’un simple courant d’air pourrait la renverser, alors il n’ose pas bouger. Il attend. Il attend qu’elle ait fini de décacheter le pli, glissant précautionneusement un index noueux sous la languette collée. Regardant trembler la vieille, Louison pense à toutes les filles et femmes qui sont venues ici et qui ont remis leur destin entre ces mains décharnées et crochues. Un tremblement plus fort de la main gauche fait tomber la lettre aux pieds de Louison. Se penchant pour la ramasser, il n’a que le temps de se rendre compte que la feuille ne comporte qu’un seul mot, son nom : Louison Messager. Le tisonnier s’abat sur son crâne.

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Marguerite était occupée à couper du bois lorsque les deux gendarmes se présentèrent devant son portail.

- Tout de même, elle est encore bien costaude, cette vieille ! observa le gendarme Duchemin à l’attention de sa collègue.

Le pied posé sur une grosse souche, Marguerite posait verticalement des morceaux de bois et les fendait d’un seul coup de hache bien placé, obtenant ainsi de petites bûches, au bon format pour son poêle.

- Faites attention où vous marchez, chef, il y a des croix plantées dans le sol.

La jeune femme avançait vers la vieille, Duchemin derrière elle choisissait avec précaution l’endroit où poser son pied, cherchant à éviter de bousculer les croix et un peu plus loin, de salir ses chaussures dans le tas de cendres du poêle.

Marguerite avait arrêté son geste et, sans reposer sa hache, regardait venir à elle les deux fonctionnaires.

Duchemin salua la vieille d’un geste rapide de la main vers son képi de gendarme.

-Nous sommes à la recherche d’un homme, le facteur du village. Il n’est pas rentré de sa tournée depuis deux jours. Vous ne l’auriez pas vu passer, par hasard ?

-Non. Vous savez bien qu’il n’y a que des femmes qui viennent ici, maugréa la vieille.

Duchemin ne vit pas le regard de la vieille plonger dans les yeux de la jeune gendarme, puis se poser sur la lettre restée sur la table, revenir sur le tisonnier et enfin désigner le poêle.

Mal à l’aise, Duchemin expédia la visite :

-Bon…Si vous le voyez…ou si vous savez…enfin bon, au revoir et merci Madame.

Tournant les talons, il retraversa le jardin d’un pas plus rapide qu’il ne l’aurait voulu, enfonçant au passage le pied dans une motte de terre fraîchement retournée et trébuchant dans un tas de ferraille d’où dépassait une roue de vélo.

La stagiaire le suivit. Duchemin ne vit pas le coup de pied que la jeune femme donna au passage dans la dernière croix du jardin.

La vieille plaça un nouveau morceau de bois sur la souche et leva à nouveau sa hache.

 

Christine



24/04/2021
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