Atelier 4 - 2020 - sujet 1
« Histoire de femmes libres »
C’était une journée qui avait débuté comme les autres pourtant, dans cette chaleur lourde, orageuse qui s’imposait, pas un souffle d’air, et Kate se dit: j’ai bien peur que l’été soit très chaud, et elle projeta les persiennes à l’italienne comme tous les matins depuis une semaine pour filtrer les ardeurs du soleil.
Elle aimait assez cette demi-obscurité pour prendre son thé avant de se remettre à écrire. Son ordinateur, juste éclairé par un rai de lumière, l’attendait sur le petit bureau. Kate avait pris l’habitude d’écrire chaque matin, comme un exercice incontournable, pour mener à bien son recueil de contes car elle espérait bien l’achever avant la fin de l’été.
Elle relut sa dernière page :
Une femme dit « J’aurais aimé vivre libre » :
« Comme l’hirondelle qui voyage d’un hémisphère à l’autre.
Comme le chevreuil des bois, le bouquetin des montagnes, courir, grimper, sauter, dévaler les rocailles sans peur, voler à la vitesse du faucon pèlerin,
Comme les fleurs des champs, pousser çà et là à ma guise, me balancer sous la brise, libre comme les arbres des forêts peuplés d’oiseaux, étendre mes branches entre soleil et ombre et mes racines sous une terre pleine de vies, Comme l’eau qui coule entre les roches, descend, petit ruisseau, des sommets vers la mer en faisant école buissonnière, de cascades en large fleuve,
Comme l’enfant qui joue sur la plage sans s’occuper du temps qui passe, qui rit et s’émerveille et comme le vieillard qui décide de monter dans sa grotte et d’y finir sa vie,.
« Mais le sommes-nous libres ? » lui répondirent ils, écoute nous :
L’hirondelle : sans mes migrations, je ne survivrai pas…
Le chevreuil, le bouquetin et le faucon : nous sommes proies des chasseurs…et des pollutions !
Les fleurs des champs et les arbres : nous sommes à la merci du feu, de la violence des orages, des arrachements et coupes intempestifs des humains sans vergogne,
L’eau : je suis contrainte par tant de barrages, de détournements, d’assèchements,
L’enfant : les adultes m'interdisent tant de jeux,
Le vieillard : je suis soumis à la volonté de la faucheuse, son heure sera la mienne…
Alors la femme se dit que la liberté quelle enviait était assez illusoire. »
Kate n’était pas contente de son travail. Elle aurait aimé développer ce sujet avec plus de pertinence, de force et de poésie. Elle se dit que son écrit était banal et n’accrocherait pas le lecteur. Toute la journée elle recomposa son histoire, ajouta des mots, en retrancha, déplaça des phrases, changea l’organisation du récit… bref en oublia son repas, but beaucoup trop de thé et finit par fermer son ordinateur, agacée et la tête farcie. Elle se dit que la nuit porterait peut être conseil.
Le silence s’était fait. En cette soirée, l’immeuble semblait déserté. Dans cette ville assommée de chaleur, nombre de personnes devait se prélasser aux terrasses ou hanter les lieux climatisés.
Kate s’allongea sur son lit sous la moustiquaire. Elle bailla, s’étira, et entendit ronronner le petit chat roux et pensa que l’oiseau dans sa cage recouverte dormait.
…Kate, seule ne dormait pas. Des images sans suite se bousculaient. Les paupières sans doute ouvertes, elle s’étonnait de la modification subtile de ce qui l’entourait dans la chambre close,
La chambre baignait dans le rouge, un rayon lumineux venu de la rue explorait la pièce. Ce devait être le néon du restaurant asiatique. Kate fascinée par ce rougeoiement qui s’infiltrait dans tous les recoins regardait les rideaux à l’allure de chevelures mouvantes.
Elle savait que la chambre respirait d’un souffle mystérieux.
Elle était intriguée par les voiles des fenêtres qui venaient de se draper en robe autour de silhouettes indéfinissables.
Kate remarqua que le néon n’éclairait plus et qu’un rayon de lune argenté presque éblouissant virevoltait du sol au plafond et dessinait des miroirs. Les silhouettes diaphanes s’y reflétaient.
Kate n’avait pas peur comme si tout était naturel…
Une des silhouettes s’approcha et prit corps, femme voilée, puis une autre un grand crucifix autour du coup, et encore une autre de Saintes Ecritures à la main…et là, Kate prit peur. Que lui voulaient-elles ?
Elle se mit à trembler et regarda les 3 femmes avec un regard suppliant. A sa grande surprise, elles éclatèrent de rire.
« N’aies crainte belle enfant ! Nous venons de lire ton histoire, charmante, par ailleurs avec tes animaux, mais va plus loin, écris autre chose, ose déranger, parle de nous… deviens notre voix, écris la révolte et le combat des femmes … »
La première déchira son voile, la seconde piétina son crucifix et jeta son alliance au sol, et la troisième brûla les Saintes Ecritures.
Elles dirent ensemble :
« Aimer sans doute est le possible le plus lointain, et nous voulons l’atteindre. Jusqu’à présent nous avons seulement été humiliées, maltraitées, intoxiquées, trahies. Clame, honore la Liberté, la nôtre. Nous avons secoué obstinément tant de chaines, celles de toutes les oppressions qui nous asphyxiaient, y compris l’attachement conjugal et familial quand il nous veut esclaves.»
Sur ces paroles, elles s’évanouirent. Kate recouvra ses esprits après un long moment comme ankylosée. Le petit chat roux était agrippé en haut du rideau et le canari perché sur le lustre.
Kate se dit qu’il s’était bien passé quelque chose d’étrange, mais elle s’assit devant son ordinateur le chat sur les genoux et l’oiseau sur son perchoir grignota des graines. Elle commença à écrire : Histoire de Femmes Libres…
Claudine.
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