Atelier 5 - 2023 - Sujet 2
Le nouveau train…
La tête appuyée sur la vitre du compartiment, bercée par le roulis du train, elle noie son regard par-delà le fleuve qui longe la voie ferrée, dans sa quête absolue des beautés de la nature.
Aujourd’hui, la Loire est triste, sa surface est balafrée d’ilots de sable qui se recouvrent de végétation, dévoilant des spectres verdâtres, inquiétants. Les cormorans, tels de petits piquets noirs hérissent les bancs de sable. Les berges largement abandonnées par l’eau dévoilent des racines plongeantes noires et asséchées rappelant les lointaines mangroves. Quelques ragondins jouent à cache-cache sous les racines mises à nu. Les cygnes et autres ansériformes n’y retrouvent plus leurs petits ! Leurs pieds palmés touchent le fond ! Les rides blanches formées par le courant frissonnent doucement troublant la couleur métallique de l’eau. Carpe, barbeau, alose, ou brème, peinent à trouver cache et nourriture et fuient dans des endroits plus accueillants. Dans un léger clapotis les eaux glissent comme à regret léchant les vestiges des pilles d’un pont du moyen âge, vers l’océan encore si lointain.
Mais l’heure tourne.
Les journées sont plus courtes et le ciel lui propose, comme pour la consoler, des couchers de soleil sans cesse renouvelés, des éclairages merveilleux empreints de douceur.
Qu’il est dur de monter dans le train du troisième âge !
Est-ce que c’est parce que la marche est trop haute, ou que les filets à bagages sont trop petits pour contenir tous les souvenirs, même les plus intimes ? Ou bien parce que le train roule trop vite, et que les idées ont du mal à suivre ce rythme effréné ?
Quoiqu’il en soit, c’est avec au bord de lèvres un goût amer, au bord du cœur un insaisissable sentiment d’éloignement, d’abandon qu’elle doit prendre ce train.
Elle n’a pas le choix, elle ne peut s’abstenir.
C’est avec au bord des yeux des larmes salées sans cesse refoulées, au bord du quai tout ce qu’elle laisse sans espoir de le retrouver, tous ses projets jamais réalisés, tous ses bonheurs inachevés.
Ces nouveaux maux qu’elle a fait siens, ces nouveaux mots qu’elle doit bien accepter sans broncher, puisque c’est ainsi que va la vie, ont enrichi ses connaissances et son vocabulaire...
Elle avait bien compris le programme du voyage, ses arrêts sur image, ses gares improvisées, ses correspondances hasardeuses, voire ratées et ses gargantuesques wagons restaurants, et les wagons de marchandises qui débordent de surprises…
Mais tout cela ne dure qu’un temps. Un temps où elle n’a pas eu le temps d’en profiter à temps.
Trop appliquée à s’impliquer, trop impliquée à peaufiner ! Le temps donné ne sera jamais rétrocédé, et la spéculation des bons sentiments n’aura pas eu l’effet escompté.
Il est temps pour elle de se reprendre en main, de rassembler ses idées, de chasser ses douleurs, ses rancœurs et de savourer au jour le jour tout ce que la vie lui offre.
Sans attendre.
Malgré sa nature têtue, elle sait qu’elle doit oublier commentaires, remarques et appréciations, garder pour elle les réflexions qui lui brulent les lèvres, et cacher derrière un sourire naïf, voire hypocrite, les sentiments si chers à son cœur. Profitant des belles images du coucher de soleil sur le fleuve, elle rêve au doux bonheur d’être encore de ce monde.
Car, elle le sait, de même qu’on ne présente plus le troisième âge, on ne tourne pas la page, on continue de la remplir avec tout ce qui tombe sous la main.
Mais aujourd’hui, la Loire est triste…
Shunt – mars 2023.
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