Maridan-Gyres

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illustration : Eduard Gordeev

Pluie salvatrice ou démoniaque ?

Quelque part dans une grande ville traversée d’un fleuve au long cours, une jeune femme hâte le pas, prise par l’averse printanière qui s’est mise à dégringoler sans crier gare. Elle a rendez-vous et ne doit pas arriver en retard.

« Cet entretien je dois à tout prix le réussir. Le premier depuis plusieurs semaines. Pourquoi se met-il à pleuvoir juste le jour qui sera peut-être le plus important de ma vie ? Je hais cette pluie et le froid qui l’accompagne. Quelle impression vais-je faire en arrivant à mon rendez-vous ? »

Si la jeune femme déteste cette ondée impromptue qui ne l’aidera certainement pas à se présenter à son avantage, elle est plutôt providentielle pour une ville qui avait épuisé ses ressources souterraines. Cette rangée d’arbres qui bordent les quais voit ses feuilles frémir d’aise, se trémousser presque, s’interpelant de branche en branche : « Pchiiiiiiiit, quelques gouttes pour évacuer cette poussière issue de la pollution de ces derniers jours » ; « Clip clap, clip clap ; des billes d’eau pour irriguer nos nervures proches de l’asphyxie ». Les arbres eux-mêmes semblent plonger leurs racines plus profondément que d’habitude dans la terre tout en s’étirant plus haut vers le ciel afin de ressentir cet apport de vie inespéré.

« Mmh ! Qu’il fait bon déployer sa ramure sous cette délicieuse saucée ».

Le fleuve lui, ne se tient plus. Il s’ébat, clapote, roule des épaules, bute contre les quais pour repartir de pluie belle. Il revit, s’ébroue et accueille chaque goutte avec délice.

Au loin, le pont de ville offre ses arches rassurantes aux deux rives de la cité et propose son échelle graduée aux regards des curieux. « N’ayez crainte, elle et moi nous sommes solides. Plus de cent ans que nous unissons nos efforts pour vous protéger. Déambulez ou dormez tranquilles : nous veillons. »

© Ouvrez les Guillemets 63 – 25.02.18