Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Le temps de la communale.

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Texte de Cadet de la Renardière, un des meilleurs, voire le meilleur, cancre du Belvésois. Ne cherchez pas à identifier ce médiocre Cadet qui ne traîne point une absurde particule nobiliaire mais se réfugie sous l'aube protectrice d'un pseudonyme pour ne point blesser.

 

 

Méphistophélique, sarcastique, acerbe, acariâtre, haïssable, diabolique, détestable ou abominable l'instituteur cumulait toutes les nuances de ces synonymes. Il faudrait, pour être objectif, ajouter qu'il ne rejetait pas, tout en s'en défendant, et de loin s'en faut, quelques formes d'élitisme et enfin, pour couronner le tout, il se complaisait, lui qui prônait l'égalité républicaine, dans des transports d'une brutalité proportionnelle à l'humilité de la condition sociale de ses punissables.
Doucereux, ou même simplement amène, il se serait cru indigne et totalement à contre-courant de sa mission. Les pressions psychologiques permanentes, immanentes à son débit vocal en perpétuelle agressivité, se complétaient par des prescriptions d'agenouillements vexantes et d'une pénibilité renforcée par le lest, à bout de bras, d'une bûche. Le châtié, tourné face au mur, au moindre fléchissement constaté, était asséné de coups de règle rappelant que Sparte prévalait sur Athènes. Son apparent référentiel aux vertus d'une adéquation parfaite de la laïcité, devait, sans nul doute, ignorer que le noumène de l'agenouillement s'appuyait, alors, sur une ostentatoire rigueur religieuse. S'il l'avait su, probablement, il aurait cherché un raffinement méthodologique plus dégradant et pénible pour éradiquer les dangereuses perversités et les imperfections des malheureux écoliers qui jouissaient de l'extrême privilège d'être enchâssés dans son cercle éducatif.

Si certains pédagogues "inconscients et incapables" se demandaient comment on pouvait, dans un minimum de temps, inculquer les bases nécessaires à la manipulation de l'arithmétique, de la lecture, de la syntaxe, des sciences naturelles, de l'histoire ou de la géographie lui ne se posait point de question. L'appropriation du savoir, pour les pauvres petits paysans, devait, sans problème, à chaque jaillissement non-spontané, encore plus à chaque insuccès, être rattrapée par une correction adaptée à la pauvreté intellectuelle du sujet. Nul ne doute que cette forme active n'ait pu donner de résultats spectaculaires. Les adeptes intransigeants d'une religion monothéiste, où germent de forts violents mouvements d'intégrisme intolérants, épousent, semble-t-il, aujourd'hui, pour imposer leur inquiétant concept, une rigueur de la même essence.

Cette méthode certes est une méthode. C'est, assurément, la plus sûre méthode de rupture des ressources intellectuelles des élèves; notamment de ceux qui doutent et, a fortiori, des angoissés. Combien d'entre eux devenaient absolument incapables de réciter une leçon parfaitement assimilée ou, appelés au tableau noir, de mener une division? Il est vrai que la seule assistance de rudoiements, complétée de coups de règle, ne favorisait guère l' "efflorescence" attendue.

La résonance de la méthode éducative de beaucoup des petites écoles rurales suscitait, hélas, bien des approbations, çà et là, dans les familles qui croyaient, d'une part, à la vertu d'une coercition inflexible et, d'autre part, à la pression psychologique. Les ingénus, admiratifs de l'unanimité des résultats probants du certificat d'études, ignoraient, où occultaient, par commodité du raisonnement, le non-négligeable carré d'indécrottables qui, lui, jouissait du "privilège des cancres" et n'avait, bien entendu pas accès à la finalité de l'école que formalisaient les examens scolaires.

Pour cette voie il fallait, impérativement et sans appel, que l'instituteur ait la certitude absolue et incontournable d'être à l'abri de toute hypothèse d'échec. Parmi ces incorrigibles on a trouvé, par la suite, des citoyens qui ont démontré, sans criaillerie, qu'ils étaient parfaitement capables d'apporter une forme de créativité, un savoir-faire qualitatif, une démonstration positive de contribution dans la société dont on leur avait signifié, au moment de la structuration de leur individualité, qu'ils en seraient les immanquables futurs parias.


Lors de la laborieuse lecture du texte de sciences naturelles, décrivant le crapaud, un de ces indécrottables fut questionné, avec tout le mépris humiliant qui ne pouvait qu'échoir à un ignorant: "X, tu ne sais pas, bien sûr, ce que représentent des yeux proéminents?". L'enseignant qui croyait ce jour là infliger un abaissement coutumier à X reçut un cinglant désaveu lorsque ce dernier lui répondit: "Si. Ce sont des yeux qui sortent de la tête". Le pauvre X, probablement, a marqué, ce jour là, l'unique point de sa scolarité en restituant, par sa connaissance de l'environnement, qu'il maîtrisait, un savoir simple qui n'avait rien à voir avec la sémantique mais beaucoup avec le bon sens, la déduction et la logique.

Le sort des enfants de l'élite, qui, vraisemblablement, auraient néanmoins souhaité s'inscrire dans un autre système éducatif, plus souple et serein, se trouvait être beaucoup plus supportable. Ces derniers, qui ne cumulaient pas les devoirs scolaires avec les tâches domestiques des fermes, qui incombaient par tradition aux petits paysans, étaient, eux, soigneusement évités pour les sévices corporels et pour les harcèlements. Aucun de ces favorisés n'a jamais été pris pour figurer dans le listage, sans cesse renouvelé, des têtes de turc. Il fallait bien ne point hypothéquer les vecteurs raffinés de la vitrine. Cela débouchait sur un concours virtuel qui comptabilisait le nombre d'inscrits externes au secteur naturel de l'école qui venaient, là, à leur corps défendant, à la recherche du développement scolaire le plus pertinent et le plus réussi.

Toutes les inepties didactiques étaient systématiquement utilisées. Les lignes, l'exploitation des faiblesses, la "profanation" intellectuelle des épanchements issus des devoirs prenaient dans ce décor des lettres de noblesse. Ne rappelons pas la honte d'élèves, réunis par une enseignante, fraîchement émoulue par sa formation dispensée par l'École normale, dans la cour de l'école, exposés aux regards des passants: qui avec un bonnet d'âne, qui avec une outrageante inscription frontale, hypocrite, menteur, voire voleurÂ… pour une timide et irrégulière soustraction de sucrerie à un camarade un peu plus avantagé.

Un surnom humiliant, attribué par un formateur, parfois, hélas, perdure toute une vie.


Aucun élève n'a songé à poser la moindre question et si une incompréhension demeurait tant pis. Il valait bien mieux rester dans l'ignorance que provoquer un orage.


Le terme éthéré de récréation, composition de ré et de création, aux yeux du maître d'école n'était qu'une invraisemblance d'irresponsables laxistes, de haut niveau, qui, assurément, n'avaient aucune notion de ce qu'il convient de faire pour conduire les enfants aux meilleures performances intellectuelles. Les récréations ne duraient donc que quelques fugitives minutes; juste le temps de permettre les nécessités physiologiques. La portée créative de tels moments n'a absolument, à aucun moment, pu effleurer son esprit. Les récréations prenaient, cependant, des dimensions extraordinaires qui, dans d'autres écoles auraient été considérées comme fort brèves, les rares jours où l'humeur maussade connaissait un point de césure et où une personne bavarde pouvait s'attarder quelques minutes avec le maître d'école.


Le passage de l'inspecteur primaire apportait une fragile et courte fenêtre salutaire à ce décor autoritaire. L'écrasante majorité des élèves n'avait aucune notion de la mission de ce fonctionnaire et, on ne sait pourquoi, elle accentuait, paradoxalement, la crainte de certains. Quelques-uns uns imaginaient, même, une forme de sournoiserie dans ce "censeur" qui parlait calmement, sans élever la voix, et, comble de l'incompréhension, n'assénait pas une sévère correction aux élèves qui donnaient une réponse erronée à une question. C'était, manifestement, un jour de totale métamorphose; l'agressivité naturelle du maître était totalement anéantie et le bâton de coudrier était soigneusement remisé pour cette visite. Certains pensaient rêver et auraient aimé voir poindre ce chantre de la pédagogie tous les jours…

Cet aparté refermé le quotidien reprenait aussi spontanément qu'il s'était effondré, le rythme, cassé par l'intrusion de l'inspection, se relançait, le "vaillant" bâton de coudrier retrouvait toute sa fonctionnalité et l'atonie douceâtre de l'instituteur prenait rang dans les souvenirs.


Les oreilles décollées, parfois, conduisaient, certes rarement, quelques courageux parents à ne pas rester passifs. Une mère furieuse a même tenté d'ouvrir une pétition pour mettre un terme définitif à de tels égarements. Les parents craintifs se sont naturellement dérobés, quand ils n'étaient pas outrés qu'une paysanne, proche de l'analphabétisme, ose défier un pilier d'une structure admise, et la suite déboucha sur la mise à l'écart définitive de l'élève fautive d'avoir été brutalisée et traumatisée. La résistance d'élèves insupportables et de parents défaillants à la soumission conformiste n'atteint pas, numériquement, le nombre de doigts d'une main. Le temps de la contestation n'était pas encore venu. Il n'était pas rare de voir les mauvais élèves, largement punis à outrance, taire l'injustice qui les interpellait par crainte de connaître, dans leur famille, comme les militaires immortalisés, par Georges Courteline, dans "Les gaîtés de l'escadron", un rajout à l'addition plutôt qu'une perception compréhensive de persécution.


Ne parlons pas du harcèlement quasi-permanent dont on ignorait, presque, la portée dévastatrice sur les plus faibles. Les allusions perfides pour fustiger l'idéologie des familles non-alignées sur l'"idéal républicain" du maître de céans ne manquaient pas de tomber et le délestage d'un cancre, sollicité ponctuellement par le ministre du culte, pour un office obituaire, donnait lieu à une passe d'armes muette, empreinte d'une belle hypocrisie, d'une agréable remise du benêt au mandataire de l'obscurantisme qui, il convient de le souligner, prit, dans les heures sombres, une position fort courageuse dans les rangs de la Résistance.


Ces pédagogues hétérodoxes qui se livraient, entre-eux, à une bien piètre compétition avaient, certainement, peu d'excuses. Ils en avaient, cependant, une, bien loin d'être suffisante. Ils étaient pétris de la certitude d'avoir raison. Ils ne pouvaient retenir, et de loin s'en faut, comme précepte la réplique de Genès de Sépulvéda, à l'endroit de Bartholomé de la Casa, dans la Controverse de Valladolid, "Le propre de l'erreur c'est de se prendre pour la vérité. Nous le savons tous". Rappelons-nous que le premier doutait que les Indiens puissent avoir une âme… et le second susurra l'esclavagisme des Africains!

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Que reste-t-il, après tant d'années, de ce "chantier" formateur? Le souvenir a pour mission de chasser, souvent, ou, tout au moins, d'élaguer et d'atténuer certains moments douloureux. Le plus curieux c'est que certains, dans un mouvement de générosité libératoire et passive, ont rendu quitus, d'autres, dans un syllogisme évident, trouvent encore aujourd'hui, en s'appuyant sur d'excessives dérives de l'autre sens, des excuses, voire des valeurs, à ces méthodes et étayent, par-là, un sophisme éloquent.


Qu'il me soit, néanmoins, permis de remercier l'École laïque et républicaine pour les liens qu'elle a tissés, pour l'immense progrès social qu'elle a engendré en faveur des plus humbles et que l'on a, trop souvent, tendance d'oublier. Certains héritiers des hussards noirs de la République, certes, ont trop souvent exercé sans douceur, quel euphémisme, ont "péché" dans un domaine ou l'on a aucun droit de s'égarer mais, malgré tout, l'appropriation du savoir, qui était la finalité de leurs dogmes, quoi qu'en disent les détracteurs de l'école moderne, poursuit son chemin… et c'est, certainement, là, l'essentiel.


Les élèves qui sont passés par Sparte ont bien connu, faut-il le préciser, l'école de la vie!


Ne cherchez pas qui peut être "visé" dans ce factum que d'aucuns, probablement, appelleront un torchon. De toute manière la prescription recouvre d'une chape inviolable ces contresens pédagogiques. Tant de ces personnages, en totalité ou en partie, se rattachent à ces inqualifiables brusqueries qui ont aguerri, qui ont façonné tant d'échecs, ont suscité, parfois et hélas, une aversion pour un lien merveilleux qui ouvre tout droit l'itinéraire de la connaissance, de la compréhension, de la tolérance, de la démocratie et de l'harmonie d'une société dépositaire de nos racines ancestrales et messagère de l'avenir de l'humanité.



Cadet de la Renardière.

 

 



05/10/2016
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