atelier du 8/01/2014
Elle courait vers ce village perdu comme si là-bas elle allait enfin trouver ce qui manquait à son âme, à son âme qui boitait, qui avait sans cesse faim ou soif de quelque chose. Là-bas, au pied de la montagne, quelqu'un l'attendait qu'elle brûlait de retrouver, quelqu'un qu'elle n'avait jamais vu.
Ça sentait la lavande et la vanille, les beignets. Au moins bizarre, dans le car bondé, poussiéreux, empesté d'odeurs de sueur, de fromage, d'oignon, de chemises sales et eau de vie.
En l'apercevant au milieu de ce tableau gris, avec sa chemise blanche brodée à l'anglaise, sa chevillière en or fin, son visage pâle de prisonnière dans un monde auquel elle n'appartenait pas, en la voyant si frêle, si gracieuse, on avait envie de lui demander pardon – pardon d'agresser ses yeux, son ouïe, son odorat de tant de grossièreté. Elle avait l'air très jeune et un regard d'enfant. D'où venaient alors cette lumière calme, discrètement dorée, ce parfum de sagesse qui exhalaient de son être ?
Blottie sur son siège, elle se parlait à elle-même, se créait un monde à elle afin de se protéger. « Le jour se lève sur la plage. Le sable fin glisse entre mes doigts. Douceur. Fraîcheur. Je le regarde s'éloigner, silhouette évanescente, et je suis contente de son départ. L'amour c'est bien. La solitude, encore mieux. Je vais à droite, à gauche, en ramassant des coquillages. Je choisis toujours ceux de la couleur de l'aube. Pourquoi ? Je cherche toujours, et lorsque je découvre, cela me remet toujours en question ... » Ses yeux larges ouverts ne voyaient plus rien du car, des fenêtres souillées, de la route de campagne...
Soudain, un clocher : en bois, pointu, haut perché sur une église blanchie à la chaux. À sa vue, elle éclata de rire. Un rire joyeux, soulagé, heureux. Elle était arrivée. Après les heures d'échanges spirituelles au téléphone, elles allaient enfin se rencontrer.
Sur le seuil du portail, une grosse femme, énorme dans ses vêtements informes, le tablier sale mis à l'envers, les pieds enflés dans des savates craquelées, les cheveux en bataille, éclairait la rue de son sourire. La seconde d'après, elles étaient dans les bras l'une de l'autre, se serraient, pleuraient, riaient, sanglotaient.
- Oh, maman ! Ma petite maman !
Sanda l'écarta un peu, pour mieux la voir, cette jeune femme de trente ans qui pleurait comme un bébé, de ses yeux transparents, entre lesquels, flamboyant déjà à son aube, le troisième œil était en train de s'ouvrir.
- Arrêtez de pleurer, ma fille. Même ce chat empoté se moque de vous.
Ana regarda autour : la cour, la maison... Mon Dieu ! Quelle saleté ! Elle allait faire le ménage de fond en comble. Et faire prendre un bain à cette chère Sanda. Puis de nouveau :
- Oh, maman !
Et elle l'embrassait désespérément, sans plus sentir les odeurs des mille taches qui bariolaient ses habits, sans plus voir les ongles noirs ni les poils aux coins de la bouche. Si mère l'avait vue en ce moment ! Elles ne s'étaient jamais embrassées comme ça. Même si c'était établi qu'en tant que mère et fille elles s'aimaient. Elle sentit comme un doigt froid sur son cœur. « Il ne faut pas que mère sache, même pas qu'elle s'en doute. Elle ne comprendrait pas. »
- Ne dites pas à mère que je suis venue.
Sanda ne fut pas étonnée. Rassurant, son bras lui entoura les épaules.
- Non, surtout pas.
Gabriela 8/01/2014
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