Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier du 27/10/2015 par Verpom

Visite à la maison de retraite

 

Armée de toute leur bienveillance, la fratrie s’acheminait vers la résidence désormais enfermée dans la vieillesse où séjournaient depuis de nombreuses années leurs parents. Ils s’apprêtaient à partager l’espace de quelques heures l’étroitesse de leur quotidien, faite d’insomnie et de maladie chronique.

En effet, leur chambre côtoie celle d’un résident malentendant. Lorsque la télévision est écoutée à fort volume, elle empêche le vieux père de dormir, lui qui sombre très tôt dans le sommeil. Pourtant, lorsqu’il s’endormait convenablement, il passait une nuit reposante et ses enfants retrouvaient alors le plaisir de savourer la quiétude et la sagesse du gentil papa de leur enfance.

Ce jour-là, une atmosphère brutalement rétrécie envahissait les ventres des descendants.

Les draps dégageaient une émanation pestilentielle, odeur de nourriture, de frites grasses. Si le service de nettoyage prétendait utiliser des produits écologiques, ils semblaient ici peu efficaces à lutter contre l’étroitesse des locaux, le manque d’aération et la proximité de la cuisine. L’envie des visiteurs d’étendre ces couches en plein soleil et de laisser les battements d’ailes des goélands les rafraîchir fût bien vite contenue par le personnel, atterré à l’idée d’enfreindre les procédures d’assurance qualité de la résidence certifiée.

Leur mère malade regardait au travers des persiennes son infirmière traverser le porche. Elle maintenait serré le sparadrap apposé au pli de son coude, ce n’était pas la première fois qu’on lui labourait le bras. Cet œuf de pigeon orphelin, comme abandonné sur sa veine trop fragile allait il se résorber proprement d’ici la prochaine séance de recueil de sang, la semaine prochaine ? Plongée dans cette question hebdomadaire, empreinte de douleur résignée, elle ne les avait pas encore remarqués.

Dans la salle voisine, une petite fille s’ennuyait auprès de sa famille. Avec ses chaussures mal lacées et ses pantalons glissant sur son arrière-train, elle inspirait la crainte des banlieues et l’odeur des préservatifs racornis laissés au pied des bancs publics. Assurément, son apparence visait à mimer un monde civilisé inconnu de ses grands-parents. Les yeux rivés sur la fenêtre, elle était absorbée par le chemin de la sortie, leur répondant par onomatopées agressives.

Déjà, l’après-midi entamait sa seconde phase. Le père oubliait ses visiteurs et s’excitait en voyant arriver son aide médicale :

- Un arbre peut cacher la forêt, n’est-ce pas, mademoiselle ?

- La forêt ? Un seul arbre ? Euh… Allez Papi, il doit être l’heure de prendre votre cachet et de vous réfugier dans le fauteuil confortable.

S’exécutant en tremblotant, le papa avait d’autres questions discrètes à poser à la jeune femme. Ne valait-il mieux pas les garder pour demain et goûter le moment quotidien tant attendu, celui où armée du verre d’eau, elle se penchera sur lui, laissant sa gorge généreuse envahir son champ de vision pour le combler du seul paysage de ses journées.

 

Véronique Pomatto 29/01/2015



29/01/2015
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