Atelier du 13 mars 2013
Exercice sur photo jeune femme en tailleur
Depuis qu'elle était petite, elle faisait l'autostop en regardant les rares avions qui passaient au-dessus du jardin de son père. Mieux dit, l'avionstop. Toute menue, aux cheveux de soleil froissé, espiègle et sans cesse en train de rire. Son parrain l'avait surnommée « la rieuse » . Où était passée sa gaieté ? La petite fille était devenue cette grande femme mince, toujours impeccable, portant des robes de coupe sévère, presque monacale, des chapeaux qui ombrageaient son regard. Sous les bords des chapeaux, ses yeux n'étaient plus espiègles. Le col de la robe montait haut, enveloppant et protégeant le cou gracile, qui soutenait un visage figé. Derrière les durs bonnets du soutien-gorge à la mode, les seins ne tressaillaient pas. La taille fine, les hanches effacées sous le tissu sobre, coupé droit ne laissaient pas deviner un ventre qui palpite, un ventre de femme, fertile et doux. A la regarder, même si belle, on aurait dit : « voilà une robe bien coupée » ou « une femme bien mise ». Mais pas « une jolie femme ». Le sac de voyage paraissait avoir poussé de son bras. Un prolongement naturel. Il n'y avait que les gants – blancs, volantés, tellement féminins - qui parlaient un autre langage.
***
Exercice sur photo terrasse – chaises - mer
A travers la baie vitrée, le regard ne rencontrait aucun obstacle. La mer et le ciel à perte de vue. C'était donc ça le bonheur ? Une terrasse au-dessus de la mer, deux chaises qui attendent que vous ayez fini de faire l'amour, baignés dans les couleurs du soleil couchant ? L'odeur de sa peau, contre elle, la pénétrant jusqu'à l'âme ? Si simple que ça ? Elle aurait voulu lui dire quelque chose, exprimer la lumière dont son cœur débordait. Ses lèvres s'entrouvrirent comme un fruit trop mûr, qui allait lâcher son jus...
Il lui tenait le visage entre ses mains et la regardait, attendri. Ana avait un œil légèrement plus grand que l'autre. Lors de ses moments de passion, ce défaut était plus visible, et ça la rendait plus touchante, plus vulnérable. On aurait dit un enfant sans défense, jeté dans les flots de la vie. Une vie tumultueuse, comme le Danube. Son Danube.
- … Bonjour...
C'était si enfantin, si tendre, si inattendu et si doux, si … « Ana », de lui dire « bonjour » le soir, alors qu'ils s'étaient réveillés ensemble, qu'ils avaient pris le petit déjeuner sur la terrasse, et passé la journée dans les bras l'un de l'autre. Chaque fois qu'elle lui disait ainsi « bonjour » après des heures de silence et de muette passion, il sentait ce mot au fond de son cœur. La larme lui montait à l’œil et le sourire aux lèvres. Que la vie était devenue simple ! Que la vie était devenue belle ! Au fait, de quoi a-t-on besoin pour être heureux ? Il suffit qu'elle vous regarde de ses yeux transparents, et qu'elle vous dise « bonjour ».
- Hei, qu'est-ce que tu trafiques ? Viens là ! Viens voir ! N'est-ce pas magnifique ? Oh ! Je les veux !
- Mais où est-ce que tu vas les porter, des gants en dentelle ? Et blancs, en plus ! Toutes les villes du monde ne sont pas Venise... Tu auras l'air ridicule.
- Je VEUX être ridicule. J'en ai besoin. Allez, ne sois pas radin ! Achète-les-moi ! Pliz !!
- Radin ! Qu'est-ce qu'il faut pas entendre ! Franchement, tu as un toupet !
- Je t'adore !
- Fais-moi un bisou.
- Premièrement, on ne dit pas « bisou », tu le sais bien, on dit « pup ». Et deuxièmement..., les gants d'abord, fit-elle la main tendue. Le bisou, après.
- Ça va, ça va. Les voici, tes gants ridicules, grande sotte.
…
- Ana, tu es unique. Pour que je perde ainsi la tête, à mon grand âge, que je laisse tout tomber pour t'amener à Venise, il faut bien que tu sois unique.
- Bien sûr que je suis unique, grosse bête, sinon pourrais-je t'aimer autant ?
Autant ! Autant ! De sa main gantée, Ana essuya une larme. Autant ! En avaient-ils essuyé, des larmes, ces gants dont le tissu fragilisé par le temps sentait encore, vaguement, l'eau salée de la lagune.
Exercice avec mots imposés
lampadaire, cheval, pressé, glace, percée, rose, loup, noir, chewing-gum, populaire, peur, mer
Les loups mordaient dans son cœur. Elle serrait les dents. « Il ne faut pas que je pleure ! Si je pleure une seule larme, je ne m'arrêterai plus. » Dans le noir de la chambre, pelotonnée par terre, elle serrait les poings. Un vieux lampadaire projetait sa silhouette décharnée dans la glace. Quelque part, au loin, on entendait une aire populaire. Des voisins qui s'amusaient. Des étrangers. Les voisins de pallier, les gens de la rue, les collègues … tous de étrangers. Il faisait froid dans cette ville même en été à 50 degrés. Il faisait froid dans les rues grises, sur les trottoirs des grands boulevards aussi, bondés de gens toujours pressés, mâchant du chewing-gum ou fumant. Ça sentait le gaz d'échappement, la transpiration et l'argent. Ça ne sentait pas bon comme chez elle. Chez elle... Est-ce qu'il y aura encore un « chez elle », maintenant que son papa n'y était plus ? « Mon papa... Je ne vais pas pleurer. Je vais penser à autre chose... Aux vacances. Oui, aux vacances. J'irai en bord de mer. Soudain, son oreille fut percée par le bruit d'une moto. « Oh ! Non ! Il y aura des motos même en bord de mer. En vacances j'irai chez moi. J'ai peur mais je peux le faire. Et comme il n'y a plus papa pour m'apporter des roses du jardin, j'irai les cueillir moi-même. Je donnerai tant pour savoir comment il va, où il est ! »
Son père, elle le vit plus tard, deux ou trois mois après sa mort. Ils étaient tous les deux sur le même cheval et se promenaient à travers les champs. Des champs de blé mûr ondoyant sous le vent. Des peupliers bordaient la route. Ils riaient aux éclats. Son père n'avait plus les cheveux blancs. Il était tout jeune et il riait sans ombre de mélancolie. À ce moment-là elle sut que son père allait bien, qu'il avait trouvé son chemin.
Gabriela
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