Maridan-Gyres

Changement de vie

La journée triste et pluvieuse rend la ville grise et les gens moroses.   Comme chaque jour, Bruno, François, Pierre et Bernard, 4 pauvres gars SDF, s’abritent autant que faire se peut sous le petit auvent du bar-tabac « Le Balto ». Comme ils ne causent aucun problème, ne sont pas agressifs le propriétaire les laisse en paix, et leur offre souvent une boisson chaude.

Une cliente sort après quelques emplettes, voit ces malheureux mais constatant qu’elle n’a aucune monnaie sur elle – oui, en nos temps modernes un bout de plastique fait office de paiement – leur donne le ticket de loterie à 1 € qu’elle a pris  et pas encore gratté, en espérant qu’ils auront quand même une petite chance de gagner au moins le prix d’un repas chaud.

Nos amis sont un peu dépités, la journée maussade n’a pas été très fructueuse, mais ils remercient tout de même la femme de son geste bienveillant.

Bruno gratte consciencieusement  le ticket et n’en croit pas ses yeux. Le montant affiché est faramineux, 50 000 € ! Il le montre à ses comparses aussi ébahis et sceptiques que lui. Ils n’y croient pas, eux que la chance a abandonné depuis si longtemps.

Pour en être certains, ils entrent dans le bar-tabac et s’en vont voir le patron en qui ils ont confiance. Ce dernier leur confirme la réalité du gain. Il est très heureux pour ces pauvres bougres tombés dans la mouise pour diverses raisons,  et leur donne de bons conseils pour récupérer leur gain et surtout ne rien dire et bien penser à ce qu’ils vont en faire. C’est une bonne occasion de sortir de leur galère.

Nos amis sont euphoriques et se demandent quoi faire de cette manne inespérée tombée du ciel.

Pierre pense qu’il serait peut-être possible d’acquérir une maisonnette avec jardin dans un coin de campagne où ils pourraient cultiver leurs légumes, mettre quelques poules. Et pourquoi pas trouver un emploi chez les paysans du coin toujours en recherche de main-d’oeuvre ne serait-ce que quelques heures. Il dit qu’il s’y connaît puisqu’il a déjà vécu à la campagne.

De prime abord, l’idée est séduisante mais Bernard qui a fait quelques études avant de sombrer, leur fait part des difficultés administratives qu’ils vont rencontrer. Sont-ils prêts à affronter toutes ces tracasseries, paperasse à remplir, sécurité sociale, urssaf, impôts, règlements et autres normes ? Depuis si longtemps qu’ils ont « quitté » ce monde-là ?

Ils se regardent, se concertent et l’angoisse transparaît dans leurs yeux. Tout ceci leur semble bien compliqué pour une petite vie tranquille.

François a une autre idée et propose d’acquérir plutôt un camping-car d’occasion, et de partir à l’aventure, visiter la région, le pays, depuis si longtemps que nous sommes sur ce bout de bitume. Ceci ne nous empêchera nullement de proposer nos services à qui voudra.

Après tout, dit-il, nous avons l’habitude de vivre chichement, mais nous seront à l’abri, nous verrons autre chose et nous resterons ensemble.

Après une rapide discussion,  l’idée est adoptée, mais ils vont quand même demander son avis au du patron du bar-tabac. Celui-ci pense aussi que c’est une idée à étudier et que ce serait un premier pas vers la sortie de la misère, et  qui sait où cela les mènera. Il leur promet de les aider au mieux et d’être là s’ils ont besoin d’un conseil même à l’autre bout du pays.

Voilà 4 amis qui dormiront mieux ce soir, malgré la bruine qui continue à tomber sur la ville. Ils savent que cette vie de misère est bientôt terminée, qu’ils vont retrouver le monde civilisé, ils ne seront plus regardés de la même façon par la majorité des gens. Mais ils n’oublieront pas les quelques personnes bienveillantes à leur égard.

A ce sujet, ils voudraient bien remercier la cliente qui leur a donné ce ticket, mais le patron leur a dit qu’il ne la connaissait pas, elle était juste de passage.

Il arrive que l’univers envoie un signe d’espoir qu’il faut savoir saisir.

Pivoine