Maridan-Gyres

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Atelier 7 - 2021 - sujet 3 + Atelier 8 - 2021 - sujet1.

Conquérir Paris

 

Il appert qu’une créature sublime répondant à l’antique prénom de Pénélope, modèle en l’atelier de sculpture de la rue des arts, qui laissait dans son sillage subtile senteur et parfum délicat, connut une funeste fin au sortir de l’établissement la faisant travailler.

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Les prétendus artistes recrutaient toutes les bonnes âmes à la recherche de quelques subsides pour ne pas crever de faim. Mâles virils ou femelles délurées, étaient invités à louer profils et courbes avantageuses dans l’espoir de voir apparaître leurs silhouettes habilement reproduites sous le ciseau expert d’un artiste.

Point de contrat n’était proposé à l’attention de ces Vénus ou Adonis de quelques jours. Leur présence à l’atelier n’était soumise à aucun calendrier et pouvait passer de peu d’heures à plusieurs mois suivant les dispositions des jeunes recrues.

 

Pénélope jeune provinciale, avait abandonné famille et amis pour apprendre le hasardeux métier de styliste en haute couture. Son allure déliée et sa passion pour les belles toilettes en devenir avaient eu raison de son appréhension à se lancer seule dans une nouvelle vie à l’issue incertaine. N’étant pas fortunée, il lui faudrait trouver comment ajouter quelque argent en sa maigre escarcelle.

Arrivant à la gare d’Austerlitz, elle fut prise d’une espèce de vertige devant la foule et l’agitation fébrile qui régnait sur le quai. Cherchant aux alentours quelle rue emprunter et comment se diriger, elle croisa le regard d’une jeune femme qui semblait moins empressée que tous ces individus qui la bousculaient à leur passage. S’enhardissant, elle tenta de lui adresser la parole en lui exposant brièvement les raisons de son arrivée dans capitale.

Ce fut avec un grand soulagement qu’elle entendit la jeune femme lui proposer de partager sa chambrette. Rien de bien luxueux, une soupente insalubre sous les toits que la jeune femme répondant au joli nom d’Antigone avait peine à payer seule.

 

Le soir tombé, elle évoqua longuement ses projets avec son amie d’infortune et lui fit part de son souhait de trouver un petit travail pour l’aider à faire face aux dépenses occasionnées par les cours qu’elle allait suivre en plus de devoir se loger. Antigone lui suggéra de tenter de vendre ses courbes harmonieuses dans l’atelier de la rue des arts.

 

  • Tu pourras demander Ulysse de ma part. Il est toujours en quête de nouvelles plastiques à sculpter.

 

L’honorable jeune fille qu’était Pénélope se sentit d’abord froissée par la proposition de son amie. Puis elle réfléchit longuement à sa proposition. Tout compte fait, s’il ne s’agissait que de prendre la pause et il n’y avait pas beaucoup de risques à cela pensa-t-elle.

Malgré tout, c’est vraiment en « marchant sur des œufs » que la jeune fille frappa à l’atelier du dit Ulysse. Un athlète barbu enveloppé d’une espèce de blouse qui avait dû être blanche l’accueillit chaleureusement quand elle se recommanda de son amie Antigone.

Une fine poussière grisâtre flottait dans une pièce immense ou corps dénudés et discrets coups de burins meublaient la vaste salle. Dans un petit entrepôt contigu était entreposé abondance de blocs de marbre et autres pierres.

Une angoisse viscérale s’empara de la jeune fille à la perspective de se dénuder devant tous ses regards scrutateurs. Assurément, elle allait appréhender réflexions et quolibets du voisinage à l’idée de demeurer ainsi largement dévêtue pendant de longues heures.

Ulysse remarqua sa retenue gênée. Bienveillant, il tenta de la détendre et d’endormir sa méfiance en faisant l’apologie de cet art qu’il semblait sublimer. C’est alors que Pénélope lui avoua que ses maigres études ne l’avaient pas vraiment sensibilisée au façonnage du marbre et autres nobles matières ; elle espérait malgré tout combler ses lacunes rapidement lui assura-t-elle. La jeune fille ne voulant pas être considérée comme totalement inculte confia au jeune artiste son attirance pour la littérature. Semblant absoudre l’ignorance de son art, Ulysse improvisa promptement une digression avec une citation de Victor Hugo pour lui être agréable pensa-t-elle :

 

 « L’Art, c’est le plus doux conquérant ! A lui le Rhin et le Tibre ! Peuple esclave, il te fait libre ; Peuple libre, il te fait grand ! »

 

Impressionnée et effectivement sous le charme, Pénélope ne tarda pas à intégrer l’escouade de corps dénudés qui peuplait l’atelier. Les premiers jours la petite provinciale concentrée sur les consignes du sculpteur s’appliqua à ne voir que lui pendant les séances de pause. Rassérénée par ses conseils attentionnés, elle commença à trouver sa place dans ce milieu d’artistes et de jeunesse bohème.

Ce n’est qu’après de nombreux jours que la jeune fille repéra une espèce de ballet, d’allers et retours des jeunes modèles. Disparaissant quelques heures…puis réintégrant le groupe sans aucune parole. L’artiste reprenait alors son œuvre au rifloir ou maillet sans faire de commentaires ni poser de question ; il semblait y avoir un accord tacite entre eux.

Cet étrange comportement commença à intriguer Pénélope. Elle s’en ouvrit à sa camarade de chambre. Celle-ci eut l’air d’éluder le questionnement et ne sembla pas très étonnée par les dires du jeune modèle.

Revenant à l’atelier, elle prit conscience que chacune des jeunes femmes s’absentait à un moment ou à un autre, disparaissait quelques heures, puis reprenait la pause sans plus d’explications.  Elle était la seule à ne jamais quitter l’établissement qui abritait les artistes y passant ses journées entières quand elle ne rejoignait pas l’espace où se tenait sa formation couture.

De plus en plus perplexe, Pénélope à l’insu de son mentor, tenta de s’informer auprès de ses congénères sur la raison de leurs absences régulières. Elle se heurta à un mur de silence qui réveilla en elle les primes angoisses de son arrivée. Enfin, l’une d’entre elles visiblement plus aguerrie lui lança en catimini :

 

  • Ne t’inquiète pas, roulée comme tu es, toi aussi tu vas avoir droit à tes petites sorties…Pour l’instant Ulysse te chouchoute…C’est sa méthode pour mettre les filles en confiance…

 

Interloquée, la jeune fille n’eut pas le temps d’en apprendre d’avantage que sa collègue s’était déjà éclipsée.

Elle avait peur de commencer à comprendre quand l’un des modèles revint en fin de soirée, un œil visiblement marqué par un coup, au milieu d’une petite figure ravagée par les larmes.

Ulysse croisant le regard dévasté de la malheureuse lui hurla sans tendresse :

 

  • Rentre chez toi ! Pour l’heure tu ne nous es d’aucune utilité ! Tu reviendras quand tu auras une autre tête ! Et tes gages seront diminués en conséquence, cela va de soi !

 

Puis revenant à sa sculpture il s’adressa avec douceur à Pénélope :

 

  • Si tu veux sortir demain après-midi j’ai une proposition très alléchante à te faire.

 

La petite ingénue comprit tout de suite en quoi consistait « l’alléchant projet ». Elle allait remplacer le modèle défiguré mais pas à l’atelier ; ses craintes se confirmaient.

Regagnant sa chambrette sous les toits, elle fit part de son effroi à sa complice de location. Celle -ci lui ricana au nez.

 

  • Mais qu’est ce que tu crois pauvre gourde, que je me les gèle avec toi pour tes beaux yeux ? Ce que tu es naïve ! Demain je te laisse le champ libre…la chambre pour toi toute seule… et tes clients bien entendu ! Ma mission est terminée et j’espère bien avoir un retour sur investissement… ! Dès ce soir je vais dormir bien au chaud tout contre mon Ulysse.

 

La terre s’entrouvrit sous les pieds de Pénélope

 

  • Et ne cherche pas à te défiler ou alors tu peux faire ton testament tout de suite ! persifla mauvaise, celle en qui la jeune fille avait cru reconnaître une amie.

 

C’est ainsi que peu de jours après la terrible révélation, la maréchaussée trouva écroulé sur un trottoir, le corps inanimé d’une petite main en train d’expirer.

L’enquête conclurait à une agression délibérée perpétrée par la jeune prostituée à l’encontre de son client. Celui-ci ne s’en étant pas laissé compter, avait abattu froidement une jeune beauté à la tête pleine de rêves...

Conquérir Paris ! Non seulement s’offrir une Vie hors du commun mais surtout la Vie dont elle rêvait et qu’elle croyait avoir choisi en quittant sa chère province.

Quelques semaines après le drame on apprit la fermeture de l’atelier rue des arts…la rumeur laissa entendre que les artistes ne trouvaient plus de modèles…étrange, non ?

 

 

                                                                                                                   

KIKA   Mai 2021.



08/05/2021
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