Atelier 6 - 2020 - sujet 3
Nostalgie
Je suis seule dans cette rue déserte, un brouillard givrant me tombe sur les épaules. Encore une journée à errer dans cette ville où tout semble endormi. Que faire ? A qui parler ? Personne, pas un chat ne s'aventurerait ici-bas.
Tête baissée, les mains dans les poches j'avance d'un pas rapide, je regarde l’asphalte noirâtre du trottoir. Il fait froid, le vent souffle. J'approche du numéro 40 de la grande rue, un portail à entrouvert grince, je l’entrouvre et me précipite dans la cour. Un majestueux chêne aux branches dénudées m'accueille, des sauts renversés jonchent le sol, une roue de charrette est posée le long du mur décrépi. Pas une seule âme qui vive dans ce repaire de brigands. Pourtant rien ne m'arrête, comme attirée par une force étrange je progresse à grands pas, traverse cette cour et me retrouve face à une porte vitrée que j'ouvre sans appréhension, comme si cette maison était la mienne.
Le vent siffle, il se faufile sous les portes et les fenêtres mal fermées. L'ambiance est sinistre. Une odeur d'humidité envahit la pièce qui devait servir de cuisine, avant, avant ce jour où tout a basculé, où tout est devenu sombre, froid, hivernal. Je poursuis avec curiosité ma visite. Je monte un escalier délabré, les marches craquantes me font parfois sursauter. Seules les toiles d'araignées viennent effleurer mes joues et m'apportent une présence. Arrivée au premier étage, une porte grande ouverte m'invite à découvrir une pièce bleue, une chambre d'enfant peut-être ! Ce bleu azur contraste avec le gris ambiant. Je m'approche d'un grand coffre en bois ouvert, allez savoir pourquoi. Sans crainte je m'assieds sur le plancher et plonge les mains dans cette malle. Une nuée de poussière me fait éternuer. Je farfouille et en sort des déguisements d'enfants : une robe de fée déchirée, un chapeau de cow-boy aplati, un gros livre poussiéreux d’où s'échappe une photo, une photo colorée, une photo respirant le printemps, une photo des jours heureux ! Le soleil traverse le papier et ses rayons viennent réchauffer mon visage. J'entends les oiseaux gazouiller, un ruisseau murmure au loin, un petit vent frais soulève mes cheveux, des coccinelles cheminent sur la nappe à carreaux rouges et blancs, l'odeur de la prairie m’enivre, des insectes virevoltent tout autour de moi. Comme il fait bon s'arrêter et se coucher sur l'herbe encore mouillée par la rosée du matin.
Le panier d'osier posé sur un coin de la nappe ne m'est pas étranger. Les pommes me tentent, le fromage et le pain me donnent l'eau à la bouche. Hum quel bon souvenir ! Cette photo me rappelle ces belles journées de printemps où nous partions, en famille, à vélo, nous dévalions les chemins cabossés, nous chantions à tue-tête. Il faisait doux, nous étions heureux, enchantés de pouvoir parcourir les chemins de campagne. Un frisson de nostalgie m'envahit.
Combien de mois, que dis-je, d'années sont passées sans pouvoir goûter à ces plaisirs bucoliques. Il est tard, la nuit tombe. Le brouillard s'est épaissi, je vais devoir rentrer. Nous ne percevons plus le soleil depuis des décennies. Ces brouillards sont apparus le jour où un éclair phénoménal déchira le ciel. C'est un enfer !
Mais cette photo du temps d'avant, du temps où les quatre saisons existaient, sera mon trésor que je cacherai au fin fond de ma couche et lorsque les brumes caresseront mon âme, subrepticement je la regarderai et m'évaderai dans ce monde d’avant. Vite je rentre !
Cricrige
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