Maridan-Gyres

L’été, lorsque, sur la route des vacances, les voitures roulent lentement, je préfère de loin rester sur Paris. J’aime, après la pluie, lorsque le soleil réapparaît d’abord timidement, puis, avec assurance, aller me promener au Jardin des Plantes. Le jardin mouillé exhale mille odeurs. Mon glacier préféré est toujours à la même place. Mon cornet rhum raisins à la main, je me dirige vers le zoo. Nénette, la doyenne des orang-outans devenue star, m'attend. Je m’assois toujours sur le banc face à son enclos et ouvre mon polar intitulé “Une chanson s’élève dans la nuit” où figure la citation d’Oscar Wilde “Aimer c’est se surpasser”.
Là-haut sur sa muraille, placide, Nénette a calé son énorme goitre sur ses genoux, se gratte l’aisselle et lève les yeux au ciel. Rêve-t-elle de la forêt de Bornéo où elle est née en 1969. Elle est arrivée en France en 1972, souffrant de malnutrition et de déshydratation. Ses débuts furent difficiles, elle était très agressive avec ses soigneuses, plus tolérante avec les hommes. Imaginez le désespoir de cette jeune femelle, à l’époque cloîtrée dans une petite cage au sol en béton, dressée à coups de barres de fer et de jets d’eau. Elle était nourrie très sommairement : un seau matin et soir accompagnés de tartines de saindoux.

Heureusement la politique du zoo a changé, on essaie maintenant de recréer l’environnement naturel des animaux. L’enclos s’est agrandi et est agrémenté de troncs, hamacs et de cordes. Le sol est recouvert d’un tapis d’écorces et un réservoir d’eau a été installé. Nénette a maintenant droit à 5 repas végétariens. Ses soigneurs connaissent parfaitement ses habitudes : son thé préféré, ses heures de repos, ses activités favorites… Dans ce nouvel espace, notre vénérable ancêtre est devenue plus coopérative et plus douce.
Croqueuse de mâles, elle a eu 3 maris, 4 fils élevés avec amour. Elle a maintenant 2 petites filles et 2 arrières petits enfants vivant en Espagne et aux Pays Bas.

Je lui fais un petit coucou. Ce jour-là, la vieille dame fait ses vitres avec un chiffon. Puis, me voyant tourner les pages de mon livre, elle feuillette un magazine. Elle se mire ensuite dans une glace : se contemple-t-elle dans le miroir ou regarde-t-elle le monde ?
C’est aussi une habile bricoleuse mais ce qu’elle aime par-dessus tout c’est la peinture. Chaque fois c’est le même cérémonial : elle commence par déguster son repas, s’empare ensuite de la palette et s’installe confortablement. Elle peut rester concentrée environ 30 minutes. Certaines de ses toiles ont été vendues.

Face à Nénette au regard légèrement las et désenchanté, à la mine songeuse, on se demande si elle ne réfléchit pas au sort funeste réservé à son espèce.
Nous, les hommes, nous devrions lui demander pardon !

La Reinette