Atelier 5 - 2021 - sujet 1
INOUBLIABLES BLESSURES…
Une file improbable de silhouettes cacochymes s’étire devant la vieille infirmerie délabrée du camp. Les premiers frémissements du printemps ne font plus vibrer leurs narines.
Regardez-les nos vieux !
Leurs yeux délavés par trop de souffrances, celles d’une vie harassante, n’expriment plus qu’une impression de vide, le vide de cette fin d’existence. Les veines de leurs bras décharnés signent l’usure d’un temps qui ne leur appartient plus, demeurant souvent les derniers rescapés d’une fratrie déjà décimée.
Comprenez-les nos vieux !
Seuls le plus souvent ou rarement accompagnés pour un dernier adieu, une bonne âme les a déposés dans ces murs. En cet hospice de vieillards, ils vont vivre un semblant d’avenir aux jours incertains qui s’égrènent chancelants devant eux.
Ecoutez-les nos vieux !
Ils ont débarqué, la pluie noyant leur regard, sur ce quai, ce dernier arrêt pour une ultime escale avec pour tout bagage regrets et nostalgie.
Marie n’a pas choisi, mais pourquoi choisir ? Elle laisse là- bas dans le petit village qui l’a vu naître sa vie et son amour ; sous la dalle blanche, il repose pour toujours. Adieu l’amour, adieu la joie, adieu la vie.
Samuel a froid, Samuel a peur, abandonné dans cette chambre aseptisée, il est terré. Des cris, des odeurs acres et nauséabondes remontent en sa mémoire. Sur son bras, un numéro gravé à jamais…
Régulièrement, de terribles images le hantent. Fuir, se cacher est resté une obsession profondément ancrée dans ses tripes.
Souvenez-vous de nos vieux !
Tous ont dû subir l’intrusion nasale d’écouvillons invasifs. D’aucuns, déjà des survivants d’un lointain cauchemar se sont débattus contre cette nouvelle agression. Ils n’ont pas compris. Trop vulnérables, trop fragiles pour encaisser ces gestes salutaires qu’ils ont dû subir comme dans un mauvais rêve… Ça recommence se sont dit certains…rien n’a changé…à quoi bon se nourrir d’espoirs dérisoires, vivre encore une heure, un jour ? Ces miraculés de l’enfer étaient déjà vieux à vingt ans. D’ailleurs, Ils n’ont jamais eu vingt ans, ce bel âge qui ne sait ni le doute ni la peur. Eux, n’ont connu que l’angoisse de la cavale et de la dénonciation.
Lucien entend encore cette voie glaçante d’inhumanité leur intimant l’ordre d’avancer. La voix de la Kapo commandant le baraquement réservé aux enfants où il a survécu de trop nombreux jours…
Ils ont souffert pour nous ces anciens, voulant préserver notre liberté et notre indépendance.
Bénissons- les nos vieux !
Alors qu’une douce musique se répand dans la salle des animations ou les résidents partagent jeux et activités manuelles, un hurlement de supplicié vient fendre l’air.
Lucien sur son fauteuil roulant agite les bras en tous sens, les yeux exorbités, la bouche ouverte et se remet à crier.
- Au secours ! Ou je suis ? Qu’est qu’on va me faire encore ?
Prisha l’animatrice d’origine indienne arrive prestement auprès du résident effrayé. Il la regarde l’air hagard ne semblant pas la reconnaître.
- Lucien ! Lucien réveillez- vous ! Vous êtes avec nous, avec vos amis dans la salle de jeux !
Pour l’animation du jour Prisha a revêtu un joli sari agrémenté de bijoux aux couleurs chatoyantes.
Le vieillard reprenant peu à peu ses esprits finit par sourire à la jeune femme.
- Vous êtes bien jolie aujourd’hui, dommage que je me sois endormi au lieu de profiter du beau spectacle que vous nous offrez.
- Je suis vraiment navré surtout que j’ai fait un horrible cauchemar… On devait tous être vacciné… contre je ne sais plus quoi …mais ça se passait il y longtemps et l’infirmière n’était pas du tout rassurante ni engageante.
- Mais Lucien, vous êtes déjà vacciné contre ce virus qui nous harcèle depuis tant de mois et grâce à cela, vous allez avoir une bonne surprise !
- Une surprise ? Et une bonne … non je ne vois pas…
- Allez, je vous donne un indice, même deux !... Chloé… Pierrick…
- Dieu soit loué ! Mes petits-enfants ! je vais enfin pouvoir les embrasser ! Quel bonheur !
Alors de douces larmes de consolation roulèrent sur les joues fripées de ce grand-père ou quelques poils hirsutes avaient étaient oubliés lors de la toilette du matin, mais semblaient danser une sarabande effrénée sur un visage rayonnant.
Chérissons-les nos vieux !
KIKA.
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