Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 4 - 2021 - sujet 3 suite

 

 

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Jeannot mon petit

"Tu avais huit ans, je préparais ton petit déjeuner pendant que tu rassemblais tes affaires dans ton cartable »

Tu étais le fils d’un cousin qui avait perdu sa femme et je t’avais recueilli. Tu m’appelais «  Tantine, ma petite Aimée ».

Tu aimais la confiture de fraise sur les tartines de pain bis.

Tu t’asseyais toujours à la petite table vers la fenêtre. Tu regardais dehors et quand la pluie battait sur les carreaux, je voyais ton air boudeur.

Hé oui, il faudrait aller à l’école enveloppé dans ta cape qui ruissellerait avec toutes les autres aux porte manteaux du couloir jusqu’à la fin de la matinée puis revenir déjeuner chez nous, changer tes chaussettes et repartir les pieds aux secs dans les bottines.

C’était le lot de tous les enfants des années 50 dans ce hameau de Haute Corrèze.

L’institutrice Marguerite avait une classe unique et connaissait chacun d’entre vous parfaitement. Elle habitait l’école et fréquentait vos parents.

Elle était d’autant plus proche de nous qu’elle était ma belle-sœur.

Tu la craignais. Elle avait cet air un peu supérieur et méprisant  qui la rendait antipathique, mais elle conduisait sa classe au succès à chaque session de certificat d’études.

Tu étais nul en calcul et elle te faisait répéter des soirées entières les tables de multiplication et de division.

Vous vous installiez dans la petite salle à manger qui d’ordinaire servait à Antoine, mon mari, pour recevoir ses administrés.

Il était Maire de la commune et plaisait à Marguerite. Je le savais.

A huit ans, bien sûr, tu ne comprenais pas bien ce qui se passait entre elle et lui, mais tu les fixais parfois avec une drôle d’expression, un peu chagrine, je crois.

 

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Je ne pouvais rien te raconter, tu étais si jeune, je ravalais mon chagrin dans mon coin et je me noyais dans le travail du restaurant, je secouais les casseroles, les poêles et les marmites, je découpais la viande, je pétrissais la pâte…sans compter l’épluchage des légumes et toutes les préparations, et ça tous les matins. Parfois la voisine venait m’aider et la serveuse était sa fille. Tu l’aimais bien.

 

Quand tu revenais le midi, tu prenais ton repas sur la grande table de la cuisine rapidement et tu allais lire sous la petite table jusqu’à l’heure de repartir pour l’école.

 

Je n’avais pas le temps de m’occuper beaucoup de toi, c’était le coup de feu, les ouvriers qui travaillaient sur les chantiers avoisinants et quelques clients de passage remplissaient vite la salle de l’auberge.

 

Antoine se chargeait de préparer les entrées, les boissons et les frites ! 

 

Il arrivait que Marguerite et Noël, son mari, nous donnent un coup de main les dimanches.

 

Marguerite t’insupportait et tu te fermais comme une huitre dès qu’elle apparaissait

 

Ce que j’en ai ravalé des larmes à voir les regards complices entre elle et Antoine.

 

Quant à Noël il semblait dans un autre monde, indifférent à tout, ne rêvant que de longues marches dans la campagne, on l’appelait  « L’homme des bois ».

 

Et toi, l’air renfrogné, tu garnissais les panières de pain et montait de la cave les chopines de vin. Rien ne te plaisait vraiment des tâches du restaurant.

 

Antoine plaisantait souvent et tu riais volontiers. En semaine, tu oubliais Marguerite et leurs œillades.

 

Quand tu as grandi je t’ai encouragé au service mais ça n’a pas duré, tu préférais les livres, je te trouvais dans tous les coins de notre Hôtel-Auberge plonger dans la lecture.

 

Nous t’avons conduit jusqu’au certificat d’études que tu as réussi puis, ton père a souhaité que tu reviennes vivre avec lui.

 

Il nous a gardé une reconnaissance éternelle de t’avoir éduqué jusque-là.

 

Toi aussi, d’ailleurs, tu es revenu nous voir si souvent avec tant d’affection. Finalement tu avais lâché les livres et ouvert un magasin de tissus, de parapluies et de sacs à main en famille.

 

Je ne t’oubliais pas mon petit Jeannot !

 

A chaque fois que je sortais la confiture de fraises et le pain bis, je te revoyais assis près de la fenêtre mordant à belles dents dans les tartines.

 

Il en est passé de l’eau sous le pont !

 

Avec Antoine nous avons vécu ensemble jusqu’au bout malgré un malaise conjugal chronique où les silences et les regards en disaient plus que les mots mais aux delà des rancœurs et des mensonges a survécu une affection.

 

Maintenant, je suis veuve, à 72 ans Antoine est tombé un matin dans la cuisine pris d’un soudain étourdissement et de vives douleurs, il est mort en moins de 20’ d’un infarctus. Il aimait la bonne chair et les vins capiteux ! Lui ont-ils ont été fatals ?

 

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Noël aussi est mort quelques temps après «à cause de rien de précis » sans doute, c’était son heure.

Sa vie avec Marguerite s’était résumée à une cohabitation sans paroles. En fait elle seule assurait les rentrées d’argent pendant qu’il arpentait les forêts…que lui faisait-il payer ? ses incartades ?

Alors nous sommes restées Marguerite et moi ni amies ni ennemies, seulement vieilles et usées chacune dans notre coin… et je regarde par la fenêtre de ma chambre de maison de retraite la pluie qui heurte les carreaux et je repense à tout ce passé…un enfant est venu rendre visite ce jour à sa grand-mère avec ses parents. Je les ai vus dans le couloir frapper à la porte en face de la mienne.

 

"Tu avais huit ans, je préparais ton petit déjeuner pendant que tu rassemblais tes affaires dans ton cartable »…

 

 

Clohe



25/03/2021
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