Atelier 4 - 2021 - sujet 1
L’esprit de rébellion selon Sylvain
Illustration : Henrik Isben
« Chercher le bonheur dans cette vie, c’est là le véritable esprit de rébellion ». Cette citation du dramaturge Isben s’imposa aux yeux de Sylvain alors qu’il feuilletait une revue spécialisée empruntée dans la salle des « profs ». Ces mots provoquèrent un véritable flash-back chez le jeune quadra.
Sylvain avait grandi sans père, auprès d’une mère aimante mais malmenée par la vie et devenue fragile psychologiquement.
Ils se retrouvèrent seuls après un divorce chaotique qui les laissa à la rue et sans le sou, suite aux malversations d’un géniteur sans scrupule.
Le jeune garçon, élève sans motivation erra de classe en classe, de collège en collège, séchant fréquemment les cours auxquels il ne trouvait pas grand attrait. Sa mère éplorée, désespérée, tenta de l’obliger à travailler à grand renfort de cris et de menaces, ce qui l’inhiba encore davantage.
En désespoir de cause, elle tenta de le mettre en internat, pensant que cela le canaliserait et lui offrirait peut-être une espèce de famille, ce qu’il n’avait jamais connu.
Sylvain ne broncha pas malgré cette vie difficile d’interne loin de sa mère. L’hiver il avait froid dans le grand dortoir mal chauffé et les repas ne relevaient pas de la gastronomie. Ce ne fut pas la révélation au niveau des cours avec des enseignants plus ou moins bienveillants et peu attentifs à la détresse de ces jeunes qui se cherchaient. Il croisa même un Anglais, inculquant sa langue maternelle sans pédagogie, qui en était encore aux châtiments corporels comme dans la vielle Angleterre. Seuls les cours d’art graphique trouvèrent grâce à ces yeux.
Néanmoins, les multiples nationalités qu’il rencontra dans cet établissement l’ouvrirent sur un monde de cultures et de coutumes inconnues. Cette révélation en fit un adolescent curieux, tourné vers les autres et tolérant à l’intention de toutes ces civilisations si différentes de la sienne.
Certes il n’a jamais brillé par ses notes, mais Sylvain se fit auprès des enseignants une réputation d’élément régulateur au milieu des conflits que la diversité culturelle et la promiscuité de l’internat ne manquaient pas d’engendrer.
Le « miracle » au niveau des études n’ayant pas eu lieu, il quitta l’établissement parisien afin de se rapprocher de son domicile et de sa mère.
A la sortie du collège, il tenta sans conviction une formation autour de la mécanique à laquelle il ne trouva pas non plus beaucoup d’intérêt. Cet apprentissage s’effectuant dans une banlieue mal fréquentée, l’obligea de surcroît à croiser une population très limite quant à l’honnêteté de certains trafics et aux pratiques d’une économie souterraine condamnable. Souvent l’adolescent flirta avec le risque de la délinquance mais parvint toujours à se maintenir du côté du bon droit.
Bonne étoile ? Une éducation qui malgré ses failles fit ses preuves ? On ne le saura jamais, mais il parvint en dépit des tentations, à échapper à la terrible attraction de l’argent facile au plus grand soulagement de sa mère.
Inconsciemment, et ce malgré son caractère frondeur et rebelle, il s’était laissé formater par une éducation plutôt stricte et avait tenté d’apprendre un métier pour lequel il n’avait aucun goût. Cette mère étant seule à travailler, le jeune homme espérait la soulager en prenant une orientation qu’il n’avait pas vraiment choisie. Certain en son for intérieur qu’être bardé de diplômes n’était pas indispensable pour s’en sortir dans la vie, rien ne l’avait motivé pour étudier davantage.
C’était encore l’époque du service militaire incontournable pour les jeunes hommes. Ayant boycotté sa formation en mécanique, et toujours sans diplôme, il devança l’appel et se débarrassa ainsi de cette obligation.
Sa période militaire effectuée, sans métier mais ne pouvant rester inactif, il se rendit dans un centre d’orientation afin d’y effectuer des tests. Et là ce fut une révélation. Il rentra chez lui avec cette conviction : je vais m’occuper d’enfants, mais pas d’enfants normaux, de ceux que la vie a handicapés dans leur corps et dans leur esprit.
Sylvain réussi le concours qui lui permit d’intégrer l’école de formation de moniteur - éducateur.
Hélas, rattrapé par ses démons de l’aversion des cours, il ne put terminer les études de cet apprentissage social. Le jeune adulte qu’il était devenu s’épanouissait sur le terrain mais continuait à en rejeter malgré lui, tout l’aspect théorique.
Cependant, courageux et conforté dans son besoin d’aide aux handicapés, il réussit à intégrer un établissement n’exigeant pas de diplôme, ce qui lui permit d’exercer enfin sa vocation d’aide aux écorchés de la vie.
Mal rémunéré mais exerçant un métier gratifiant, il vivota ainsi jusqu’à son mariage, toujours dans le moule que la société bien-pensante et son éducation lui avait plus ou moins imposé.
Ce mariage d’amour, d’abord heureux avec l’arrivée de deux beaux enfants, s’étiola avec les années. Était-il vraiment fait pour cette vie programmée et sans réelle surprise ? Longtemps il essaya de s’en convaincre jusqu’à la rupture finale. Douloureuse rupture. Sans logement ni travail à ce moment de son existence, l’éloignement de son épouse et la séparation de ses enfants le plongèrent dans une détresse abyssale. Sylvain envisagea même de mettre fin à ses jours tant l’épreuve lui paraissait insurmontable.
« Quel courage il faut, à certains moments, pour choisir la vie ». Cette nouvelle citation d’Isben l’émut profondément et le renvoya à ses états d’âme tragiques de ce moment lointain de sa destinée.
Heureusement, l’amour indéfectible d’une mère et l’omniprésence d’un beau-père affable lui permirent de survivre. Après une longue incertitude professionnelle, Sylvain finit par accéder grâce à son expérience, toujours dans le cadre du handicap, à un métier lui assurant épanouissement et sécurité d’emploi.
Cependant, sa relation frustrante avec ses enfants fut longtemps une épreuve injuste et difficile à surmonter, les voyant trop rarement pour pouvoir s’impliquer pleinement dans leur éducation.
Sa séparation fut l’occasion de découvrir au travers de ses relations professionnelles, qu’il était reconnu dans son travail et que son charme et sa séduction naturelle ne laissaient pas insensible la gent féminine. Ce fut pour lui une découverte qui l’étonna tout en le réjouissant intérieurement.
Alors vint le temps des conquêtes sauvages, toujours respectueuses certes, mais sans lendemain et le décevant le plus souvent. Elles lui permirent pourtant d’avancer dans le deuil de sa vie précédente en commençant à cicatriser ses blessures.
Il finit par évoluer vers un quotidien beaucoup plus improbable mais plus joyeux, profitant pleinement de chaque moment heureux que l’instant présent lui octroyait. « CARPE DIEM » devint sa devise, du moins il essaya de s’en convaincre. Mission laborieuse et malaisée les premiers mois...mais il persévérera malgré les circonstances difficiles.
C’est alors que survint cette pandémie désastreuse, ce virus omniprésent. L’ensemble de la population ne croyant ni au danger ni à la durée de l’invasion, finit avec le temps par succomber à une profonde lassitude et morosité.
Un premier confinement s’abattit sur le pays et, paradoxalement, alors que chacun se morfondait autour de lui, Sylvain décida d’être heureux ! Enfin le rebelle se réveillait !
La vie « bien sur les rails » l’avait tellement déçu qu’il s’appliqua, en ce moment ou tout semblait s’écrouler pour l’ensemble de ses congénères, à positiver envers et contre tout. Lui d’ordinaire si défaitiste s’attacha à prendre conscience de tous les petits bonheurs qui peuplaient son quotidien.
A grand renfort d’échanges avec des copains bienveillants, il réussit à prendre le recul nécessaire afin de moins souffrir de l’absence de ses enfants.
Sa bonne santé, un métier qui comblait son besoin d’aide auprès des jeunes handicapés, un appartement coquet dont il était propriétaire, des collègues qui le reconnaissaient dans sa profession, des amis sur lesquels il pouvait compter, et toujours dans la séduction, c’était plus qu’il n’en n’avait jamais espéré… La liste s’allongeait de telle manière qu’il finit par se demander en souriant au fond de lui-même : que pouvait-il lui manquer ? L’amour auprès d’une fidèle compagne ? Non assurément ! Il n’était pas prêt, certaines cicatrices demeurant encore trop douloureuses.
Après avoir beaucoup souffert de la solitude, il se mit à goûter et apprécier cette tranquillité sans contrainte alors qu’il rêvassait seul, confortablement installé dans son canapé.
Contrairement à la quête de ses jeunes années, cette nouvelle vie assumée lui ouvrait pleinement de nouveaux horizons. Certes, ce n’était pas le schéma classique mais cette incertitude de l’avenir devint comme un défi que Sylvain était déterminé à relever.
Parmi toutes les idées vagabondes qui lui traversèrent l’esprit, il se rappela qu’il avait, il y a bien des années de cela, un joli coup de patte avec ses crayons et ses pinceaux.
Sitôt pensé, sitôt fait ! Le jeune quadra s’empressa de faire l’acquisition d’un minimum de matériel pour se lancer dans la réalisation de croquis, dessins et autres peintures. Cela lui procura un nouveau bonheur, celui de la création à laquelle il consacra beaucoup d’ardeur. Pas mécontent de ses « œuvres », il partagea ses réalisations avec certains amis férus d’art. Ces derniers l’encouragèrent vivement à persévérer dans son entreprise artistique et lui donnèrent adresses et autres bons plans. Cela lui permettrait de se perfectionner et même de se faire connaître lorsque les problèmes sanitaires du moment ne seraient plus que de mauvais souvenirs.
Sylvain était heureux, d’un quotidien simple mais rempli de surprises lui permettant de se projeter vers un avenir ou il se sentirait enfin à sa place parce que c’était lui et lui seul qui en avait décidé.
Il n’était pas fait pour une routine ennuyeuse et délétère. Ayant choisi de refuser le carcan d’une vie préfabriquée, dans son malheur il s’était réinventé une existence en phase avec sa vraie personnalité d’insoumis ; une destinée ayant comme un goût d’aubaine et d’espoir.
Quand cette période affligeante de contraintes et de privations sera devenue un lointain passé, ne soyez pas surpris au hasard de vos visites d’expositions en découvrant quelques œuvres originales signées d’un certain Sylvain… Les œuvres de la rébellion… et du bonheur !
KIKA
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