Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 3 - 2025 - Sujet 2

 

LMDM 2025-3-2

(7 février 2025)

 

De mon lit, je l’admire chaque jour.

Cette tapisserie, que son auteur a baptisé « Western » date de 1965.

Elle a été réalisée aux ateliers Goubely d’AUBUSSON à partir d’un « carton » de Dom ROBERT.

Guy de CHAUNAC-LANZAC, né dans le Poitou en 1907, entré à l’abbaye d’EN CALCAT, dans le Tarn en 1930, y est devenu Dom ROBERT lors de son ordination en prêtre sept années plus tard.

Il commença à dessiner des cartons de tapisserie à partir de ses propres aquarelles et, dès le début des années 1940, fût immédiatement reconnu dans le petit monde des « cartonniers », les maîtres du langage graphique de la tapisserie, ceux qui réalisent le modèle.

Entre 1942 et 1992, le moine réalisa près de cent cinquante cartons.

 

a3.2.jpg
 

Western de Dom ROBERT, revu par Gi

 

Devant mes yeux dansent et gambadent des chevaux aux robes imaginaires tâchées de couleurs merveilleuses, aux crinières sauvages déployées, sages ou folles. Ils forment un carré imparfait, nous observent de face ou de profil, de gauche, de droite. Certains ont les sabots peints en rouge, en vert, certains ont la tête verte.

Ces chevaux respirent la joie de vivre, la gaieté, ils semblent sortis d’une peinture naïve, ils sont hymne à la vie, au mystère de la création : Une nature rêvée.

 

Enfin… Enfin…

Je dois vous avouer que je suis en train de vous mentir. Ce que j’ai décrit ci-dessus, c’est ce que VOUS voyez,

Car, moi, ce que je vois dans ce tableau, c’est ma mère.

Et derrière elle, mon père.

Gi avait commencé à réaliser des tapisseries qu’elle brodait seule à l’aiguille sur canevas, sans support, sur ses genoux, en regardant la télévision le soir. Elle achetait ses laines DMC dans une boutique à ANGERS – quand elle ferma, elle acheta leur stock ! – et y choisissait ses canevas pré-imprimés.

Très vite, Gi et Maurice se rendirent compte que le choix des canevas proposés à la vente, très classiques ou trop modernes, n’étaient pas à leur goût.

Ils achetèrent des livres et découvrirent Dom ROBERT, son style, son extraordinaire bestiaire : poules, coqs, chèvres, canards, agneaux, moutons, antilopes, papillons, cerfs, paons, dindons, chiens, poissons, une faune colorée, gaie, doublée d’une flore qui ne l’était pas moins : arbres, buissons, bosquets, fleurs, ombellifères, graminées, coquelicots, chèvrefeuilles : ce moine génial savait faire chanter une nature de rêve comme aucun maître cartonnier ne l’avait fait avant lui.

Gi et Maurice cherchèrent alors partout des canevas de Dom ROBERT, prêts à y mettre le prix s’il fallait.
Mais las, même à AUBUSSON où le moine faisait réaliser ses tapisseries, la réponse tombait, toujours la même :

L’artiste refuse que l’on fasse des copies de ses œuvres.

Mes parents étaient devant un mur.

C’est alors que papa se proposa :

 

  • Gi, si tu le souhaites, je veux bien essayer de te tracer un dessin de Dom Robert sur un canevas de tapisserie
  • Tu pourrais le faire ?
  • Je ne sais pas, mais j’ai étudié le dessin industriel au Lycée d’ANGERS quand j’étais lycéen dans les années vingt, et je crois être capable de m’en souvenir. »

 

Maurice commença par un petit canevas et un dessin relativement simple et, le résultat final étant concluant, de fil en aiguille, le duo se mit à réaliser des « DOM ROBERT » de plus en plus complexes, de plus en plus grands.

Papa occupait la table du salon le temps de réaliser son carton.
Il faisait agrandir les photos du livre de l’artiste chez le photographe de leur ville et reproduisait l’original.

D’un format A4 maximum, souvent beaucoup plus petit, il dessinait en quelques semaines un carton d’un mètre dix sur un mètre vingt.

À la perfection, aussi bien que le maître.

Et Gi tissait, entre quatre et cinq heures par jour, choisissant elle-même chaque couleur de visu : N’ayant pas de codes couleurs comme en ont les lissiers quand ils réalisent les tapisseries sur les métiers, elle travaillait « à l’œil ».

Quand elle terminait les grandes tapisseries, au bout d’une année de travail environ, le poids était bien lourd sur ses genoux, mais rien ne l’arrêtait.

 

Gi et Maurice réalisèrent plus d’une vingtaine de tapisseries seuls, à la main.

Une grande majorité de Dom ROBERT, quelques LURÇAT, quelques modèles médiévaux ou Renaissance, quelques reproductions de tableaux.

Ils sont aujourd’hui dispersés dans notre famille, et chacun y met la valeur qu’il veut bien lui mettre, celle qui n’a pas de prix, celle du cœur.

Ma sœur aînée s’y est aussi essayé avec la même exigence et le même succès, elle a été à bonne école.

En 2001, Gi réalisa à la demande du CASSISSIUM, Musée du Cassis de NUITS-SAINT-GEORGES, une grande tapisserie dessinée par Lucien BRANCHARD, le Cassis aux quatre saisons.

 

 a3.2b.png

 

1990 : La ville d’ANGERS, capitale de la tapisserie qui héberge la tenture de l’Apocalypse au cœur de son château annonça une exposition Dom ROBERT au Musée Jean LURÇAT du 30 Mars au 24 Juin.

Mes parents se réjouirent.
Maurice, fier du travail de son épouse, plia la tapisserie des chevaux (« Western »), la mit dans sa voiture, et les voici partis à ANGERS rencontrer la direction du Musée pour lui présenter leur travail et espérer que celle-ci le montrera à son tour à Dom ROBERT. Mes parents avaient alors 78 et 74 ans, Dom ROBERT 83.
Quand ils déplièrent la tapisserie devant la directrice, celle-ci s’exclama :

« C’est magnifique ! Mais malheureusement nous ne pourrons pas la présenter au Maître, car il se déclare inimitable et interdit toute reproduction de ses œuvres ! »

Puis, plus confidentiellement « Je dois vous dire qu’il est quelque peu imbu de lui-même ».

Gi et Maurice replièrent leur tapisserie, la remirent dans le coffre de la voiture, et au retour papa nous déclara :

« Dom ROBERT est sans nul doute un très grand cartonnier, mais c’est un bien vilain bonhomme ! »

 

Dom ROBERT s’est éteint à 90 ans en 1997, Maurice l’année suivante, puis Gi les a rejoint en 2011.
Le Maître n’aura jamais pu apprécier le travail de ses admirateurs.

 

En 2015 s’est ouvert dans le joli village de SORÈZE, situé en Montagne Noire au Sud du Tarn, le splendide Musée DOM ROBERT et de la tapisserie du XXème siècle.

Nous nous y sommes rendu en 2019 avec mon épouse et avons enfin pu y admirer grandeur nature les magnifiques tapisseries du Maître.

Arrivés devant Western en très grand format, réalisé sur métier à AUBUSSON (195 X 215, celui de Gi fait 110 X 120), je n’ai pu m’empêcher de m’esclaffer : « Oh ! Celui de Gi est beaucoup plus fin, plus précis, et plus beau ! ».

  a3.2c.jpg

Le Cassis aux Quatre Saisons (Gi et Lucien BRANCHARD)

Musée du CASSISSIUM – Nuits Saint Georges

 

Nous pouvons aujourd’hui admirer les œuvres de DOM ROBERT sur le site domrobert.com

 

JB



05/03/2025
3 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 499 autres membres