Maridan-Gyres

Je montai dans ce train sans enthousiasme. Je devais rejoindre des cousins éloignés pour les obsèques de ma marraine.

J’avais hésité car nous avions si peu en commun, une de ces familles dont la moitié est fâchée avec l’autre pour des histoires d’héritage, de dépenses soit disant mal justifiées, de partage inégal de domaine…un tissu de mesquineries comme si ils avaient des fortunes alors qu’en réalité  il restait  une  maison de campagne à restaurer, de vieux meubles, un jardin et quelques volatiles….

Ma marraine avait échappée à toutes ces dissensions par sa naturelle bonté et son âme venait de s’envoler. J’avais donc décidé de me rendre dans ce petit bourg du Limousin pour lui rendre hommage.

La tête collée à la vitre je regardais ce paysage familier. Dehors il faisait sombre, par la fenêtre on  voyait quelques silhouettes d’arbres défiler, des vallonnements suivis de champs plats. Toute mon enfance.

Je ne m’étais pas aperçu qu’une passagère était montée à la petite gare précédente dans ce compartiment de train quasiment vide. Il s’ébranla et prit un rythme lent dans un brouhaha grinçant.  

Je posai mon regard sur la nouvelle venue aux charmes plutôt gothiques.

Elle était assise à 4 sièges de moi, de face, sa robe noire de voile descendait juste au-dessus de ses pieds chaussés de bottines à lacets. Elle ouvrit son sac en tissu satiné sur ses genoux. Elle échappa un mouchoir de dentelles et se penchant pour le rattraper sa chevelure noire geai balaya son bras droit d’une longue caresse. Elle pouvait avoir 30 ans. Je lui souris, elle resta les yeux fixés sur le fond du wagon.

Comment envisager de discuter ? Rien ne pouvait s’engager sans raison ! Je passerais pour un lourdaud voire bien pire !

Tout à coup, elle tourna la tête et me rendit mon sourire… son regard gris vert était une sorte de provocation d’une brillance un peu humide et ses lèvres, d'un rose soutenu, une fleur à caresser. Phénoménale envie de sentir son parfum.

Je me levai mu par le besoin de bouger et me dirigeai vers le wagon bar, au passage, je la saluai et lui demandai si elle souhaitait que je lui apporte une boisson en bafouillant presque.

D’une voix grave, un peu rauque, de celles qui chantent le blues de façon torride,  elle me répondit « OUI j’aimerais assez un thé à la menthe, merci de votre proposition.»

J’étais troublé et je vacillai quand le train pris une grande courbe avant un long tunnel. Je marchai en titubant un peu.

Arrivé au Wagon bar, je me voyais au retour la prendre dans mes bras et sentir le tissu léger de sa robe sous mes doigts osant à peine suivre ses formes voluptueuses. Quel délicieux scénario !

Qui était-elle ? Une Emma Bovary ? Une Anna Karenine ? Une Lady Chatterley ?

J’aime ces projections incertaines… la fièvre du désir qui promet des enlacements fougueux.

Cependant, j’étais dubitatif car plutôt  timide comme je suis, je me contenterais surement de lui livrer son thé et d’aller sagement m’asseoir à ma place en espérant une autre occasion de l’approcher.

J’avais peu de temps car j’arrivais à ma destination  dans 3/4 d'heure.

De retour dans notre wagon, je la vis abandonnée au sommeil, le soleil jouait dans ses cheveux presque bleu nuit et sur sa joue un peu dorée.

Je murmurai  « voici votre thé ». Elle ne se réveilla pas, alors je touchai son épaule avec délicatesse et la pressai un peu entre mes doigts.

Elle ouvrit les yeux  et se redressa doucement. Elle m’invita à m’asseoir près d’elle. Ses longues mains aux bracelets-bagues prirent la tasse en carton et elle but comme on embrasse avec un petit mouvement de lèvres extrêmement sensuel.

J’avalai ma salive car j’aurai tant aimé être la tasse… le train ralentit et s’arrêta.

J’attrapai mon sac. Avant de descendre, je posai mes lèvres sur les doigts de ma Belle Inconnue… Elle frôla mon cou de ses cheveux, j’entendis son soupir, elle glissa une petite carte dans ma main. Je sautai sur le quai, j’étais heureux car son « Au revoir » brulait de vérité… Inoubliable parenthèse…à ré ouvrir…

Clohe