Atelier 2 - 2024 - Sujet 1
Jean-Bat un vieux professeur de littérature bougon, faisait les cent pas dans sa bibliothèque où pourtant il ne restait pas grand place. Il venait de prendre sa retraite.
Ses ex-étudiants, ses ex-collègues, disaient de lui qu’il sentait la poussière et le vieux cuir.
Il avait installé dans ce refuge d’un autre temps, tout ce qui représentait la vie pour lui, et un lit. Oui, un lit où on lit.
Le lit ! Objet incontournable (et comme dirait mon mari : ce n’est pas un fainéant ce génie qui a inventé le lit), car si on réfléchit bien, faisons la somme des heures de notre vie que nous partageons avec un lit : si mes comptes sont bons, je crois qu’en durée c’est bien l’instrument auquel nous vouons la plus grande fidélité.
Il est bizarre ce lit ! Regardons le !
Tous ces mots qu’il rassemble seront-ils les maux de la vie ?
Souvent conçue au creux d’un lit, la vie va lui devoir la douceur de l’amour et la chaleur du bonheur. La vie va lui confier le soin de recevoir les premiers cris de l’enfant naissant, d’apaiser les souffrances des maladies infantiles, de rabibocher les maladies imparables, de soulager les blessés en convalescence et d’accompagner le dernier souffle du trépassant.
D’ailleurs, ne parle-t-on pas pour l’importance d’un hôpital de son nombre de lits ?
Si tous les mots de ce lit se mettent à parler, on ne pourra jamais dormir, et si on rompt le silence des mots des ouvrages placés sur les étagères, ça promet de longs conciliabules entrainant des nuits blanches, à défaut du syndrome de la page blanche.
Quelle joie enfin de se retrouver dans ce capharnaüm où rien n’est comme il faut.
Le taux de poussière est surement supérieur à celui préconisé par les meilleurs pneumologues de la terre et pour l’aération, aucune fenêtre.
Voilà au moins un endroit où notre culpabilité trouve du répondant et fait passer nos manques pour des futilités.
Le désordre artistiquement agencé permet à l’œil curieux d’effacer la monotonie du tableau, et le regard vient et revient sans cesse sur cette image.
La teinte quasi monochromatique dégage une impression de douceur surannée à la fois apaisante et curieuse.
On y vient mais on craint.
Où est celui qui a vécu dans ce lieu ?
On y vient puis on y revient.
Quel esprit hardi, tordu, loufoque, bienveillant, malveillant, surprenant quand même pouvait avoir mis sa couverture sous le matelas ?
Car les mots tout nus, en guise de couette, même s’ils sont chauds, n’ont pas le pouvoir de la couverture qui elle peut cacher les imperfections du cœur et du corps.
Mais voilà !
Le décor est planté !
Il nous faut poursuivre ce que Jean-Bat a voulu nous transmettre en nous offrant ce tableau, gardien des mots, collectionneur de syntaxes, de verbes transitifs et intransitifs, des conjonctions de coordination, de noms communs et propres, d’adjectifs qualificatifs, de pronoms personnels …etc...
Il a voulu peut être aussi nous faire découvrir la douceur des cadres où se devinent les portraits des aïeux, aux traits doux et fanés, aux cheveux fins et bien coiffés, aux yeux non soignés et tendrement absents…
Ou alors ces multiples lumières désuètes diffusées par des lampes aux abat-jours brodés, légèrement inclinés par le poids des ans, ces mises en lumière d’objets sans nom qui n’ont de la valeur que pour ceux à qui ils ont été offerts, et qui rappellent des instants fébriles, joyeux ou tendres.
Ces flacons de patchouli, gouttes nasales, étui à lunettes encombrent la table de nuit qui n’a jamais connu l’ombre d’un combiné téléphonique, mais qui cache peut être dans son coin réservé à cet effet, un pot de chambre en porcelaine blanche…
Et ce petit bureau magnifique écritoire d’une essence précieuse, du bois de rose peut être, à la patine douce et rassurante, éclairé par encore une lampe fragile mais fidèle, ami incontestable du maître des lieux sans doute très prolixe dans ses œuvres.
Que dire aussi de ce joli petit fauteuil ? Objet précieux de mes préférences mobilières, le fauteuil traduit à lui seul la jubilation des beaux et bons mots dénichés et domptés au cours des séances épuisantes de rédaction parfois très longues...
Et ce plateau en loupe de thuya, rappelle un voyage dans les pays africains où les artisans locaux font des merveilles avec ce bois précieux…
Où est ce Jean-Bat, celui-là même qui a vécu dans cette chambre ?
Le parquet est d’un bois massif et bien lustré ne porte aucune trace de son passage.
De toute façon, c’est trop tard !
On ne saura jamais !
Car je viens de voir au fond à gauche la porte dérobée par laquelle l’intéressé s’est sûrement éclipsé.
Tant pis ! Il est parti pour fuir sa retraite.
On ne connaitra jamais Jean-Bat cet ex-professeur de littérature, il sera toujours une énigme pour nous et restera un mystère.
Le mystère de la chambre aux livres.
Shunt
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