Atelier 18 - 2022 - Sujet 3
Il était une fois, un amour de petit sapin qui venait à peine, et à grand peine d’ailleurs, de voir le jour.
Poussant de ses petites aiguilles toute neuves les feuilles fanées, racornies et roussies des grands arbres de la forêt séculaire sa nouvelle maison, il puisait dans l’humus noir du sol humide les nutriments nécessaires à sa survie.
Le vert tendre de ses aiguilles tranchait sur le tapis ocre du terrain forestier.
Curieux, les insectes de la forêt entouraient avec bienveillance la naissance de ce nouveau venu, orphelin, dépourvu d’amour maternel.
Tous lui procuraient des nutriments nécessaires à son développement. Les uns détruisaient ses prédateurs, les autres fournissaient les apports indispensables, tous se mettaient au service du jeune sapin. Ecartant les feuilles qui l’ombrageaient afin de favoriser la photosynthèse, les fougères persistantes l’isolaient pour le protéger du vent. Tout était mis en œuvre pour une croissance harmonieuse. Même les petits rongeurs, les oiseaux des sapins dans leur livrée jaune noire et blanche à trois bandes (les becs croisés), les renards roux rusés et rapides entre les futaies, les petits lapins agiles, et les jeunes chevreuils, tous prenaient soin du jeune sapin. Il était heureux, insouciant, entouré de l’amour de cette famille d’adoption si chaleureuse.
Les années passèrent. Hivers calmes et ouatinés de neige douce, printemps revigorants propices aux naissances multiples, étés enchanteurs offrant des balades à l’ombre de la canopée et automnes pluvieux et tièdes, permirent à la jeune pinacée de croitre avec vivacité.
Mais à l’approche de décembre, l’automne qui se pare de mille couleurs rutilantes et dorées, vit les champignons faire leur sortie spontanée et anarchique. Et tous les ans le cueilleur de champignons, d’un grand bâton armé, d’un panier gigantesque équipé, parcourait la forêt pour assouvir sa gourmandise insatiable. Mais cette année le bonhomme toussait, toussait à faire pitié. Sa bronchite ne le quittait pas.
Petit sapin n’en menait pas large. Quel tapage ! Lui qui était arrivé là par un hasard inexpliqué, loin de tout ce qui lui ressemblait, frissonnait de frayeur. L’homme aux grosses chaussures passait près de lui, frôlant de son gourdin la jeune cime sylvestre. L’arbre se faisait tout discret, mais il avait malgré tout grandi et sa silhouette déjà promettait une belle décoration symbole de Noël ! Ses émanations dotées de vertus apaisantes pour les bronches envahissaient le sous-bois. Mais le vieux mycologue l’effrayait vraiment et ses intentions inavouées le faisaient claquer des aiguilles ! Las ! Qu’allait-il donc lui arriver ? Il s’était au fil des ans bien entouré de compagnons forestiers, houx vigoureux garni de boules rouges, ronces et prunelliers sauvages offrant asile aux papillons de nuit qui lui tenaient compagnie et le rassuraient. Le chasseur de champignons, respirait à grands poumons l’atmosphère du sous-bois embaumé des effluves sylvestres. Ses bronches s’humidifiant de la douceur de l’air forestier, il sentit tout à coup s’évaporer sa bronchite tenace. Il s’agenouilla au pied du sapin, fit le vœu de ne pas le sacrifier pour le plaisir païen du sapin de noël. Sa toux se dissipa. Il comprit. Caressant le tronc du sapin de sa main rugueuse, il se contenta de cueillir trois branches de houx pour illuminer les tables de Noël. Une larme salée glissa sur son visage buriné. Il repartit vers sa maisonnée, le cœur joyeux, et bien plus léger que son panier bien chargé.
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