Atelier 18 - 2022 - Sujet 1
Éternité
Du plus longtemps que je me souvienne, l’athéisme est ancré en moi depuis ma petite enfance.
Élève de l’école laïque, mes parents m’avaient inscrit aux cours facultatifs de catéchisme dispensés dans l’établissement par un aumônier.
Déjà, c’était louche.
Ni mon père ni ma mère ne fréquentaient les bancs de l’église en dehors des mariages et des enterrements.
Alors pourquoi m’infliger d’assister à ces cours qui ne me plaisaient pas du tout ?
Parce que ma grand-mère le voulait, parce que « ça se faisait », parce qu’il fallait avoir sa communion en poche pour qu’ensuite on nous fiche la paix.
Je détestais le catéchisme, je n’aimais pas cette religion dont l’idole était un crucifié, qui ne parlait que de péchés, que de mort.
Cette bonne blague, pour avoir droit au paradis, il fallait être mort !
Et si on n’était pas baptisé ou bon chrétien, hop, on disparaissait dans les limbes, condamné à errer sans fin.
J’avais 8 ou 9 ans, mais avais déjà compris que ce « Bon Dieu » ne l’était pas, bon, car les enfants non baptisés d’Afrique ou d’Asie, par exemple, tous ceux qui n’avaient pas eu la chance d’être évangélisés, pourquoi n’avaient-ils pas droit au paradis ?
Ils n’y étaient pour rien, c’était trop injuste.
Bref, je me posais beaucoup trop de questions, m’interrogeais sur les nombreuses incohérences, et attendais avec impatience le moment où je serais enfin débarrassé de la messe et de ces corvées de catéchisme.
Les prêtres avaient raté leur coup : voulant m’évangéliser, ils m’avaient conduit à l’athéisme qui m’accompagna durant toute mon existence terrestre.
Alors autant vous dire que quand je suis enfin mort de ma belle mort, je n’attendais rien d’autre que la lumière s’éteigne pour toujours.
Mais, surprise, si mon corps ne bougeait plus, mon esprit cavalait toujours !
Interloqué, je me demandais bien ce qui allait se passer, à quel moment tomberait la nuit éternelle…
J’attendis longtemps.
Jusqu’à ce qu’apparaissent devant moi deux anges qui me demandèrent fort aimablement de les suivre et me conduisirent en volant jusqu’à une grande porte devant laquelle je lus
« Paradis - Entrée réservée aux heureux élus ».
À droite se situait une pièce intitulée « Salle d’attente », dans laquelle on me pria de m’installer.
Heureusement, je ne prenais pas grand-place car nous étions très nombreux à y voleter en attendant la suite.
Au bout d’un temps qui me parut interminable, l’archange Michel apparut et nous expliqua les règles : nous allions devoir faire notre « examen de conscience », avec précision et honnêteté, aucune tricherie n’étant désormais possible, puis nous serions convoqués par Saint Pierre, qui statuerait sur notre sort.
J’entamais derechef ledit examen, espérant bien être convaincant en plaidant ma cause.
Saint Pierre me reçut quelque temps après, l’archange se tenant à sa droite, porteur d’une magnifique balance.
À ce moment, Saint Pierre fit apparaître un grand écran virtuel dans lequel défilèrent dans un ordre chronologique tous les petits larcins, tous les mensonges, toutes les petites bassesses de mon existence, commises à tout âge, mes colères, mes péchés d’orgueil, d’avarice, de luxure, d’envie, de gourmandise, de paresse... il ne manquait rien à l’appel.
Le visionnage était interminable, je m’en inquiétais auprès du Saint :
Et, passant de la parole aux actes, étendant les mains, Saint Pierre fit apparaître mes « bonnes actions ».
Il n’y en avait guère.
Et l’archange pesa, la balance penchant immédiatement et irrémédiablement à gauche, du côté obscur de la force.
Saint Pierre et l’archange Michel disparurent aussitôt, m’abandonnant à mon triste sort.
Depuis, sans fin, j’erre et je médite.
J’ai fini par comprendre ce que voulait dire Jean d’ORMESSON quand il s’était écrié à la télévision :
« La mort, vous croyez que c’est agréable ?
C’est une malédiction.
Mais ce qu’il y aurait de pire
Ce serait de ne pas mourir ».
JeanBat
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