Atelier 17 - 2019 - 2ème sujet
La lettre
Le soleil était au zénith. Une brise légère agitait les feuilles des arbres fruitiers. Du jardin, Charlotte voyait la petite maison de pêcheurs qu’elle louait depuis dix jours, se détacher sur le ciel bleu azur. Seul le bourdonnement des insectes troublait le silence pesant de ce début d’après-midi.
Nonchalamment assise sur un fauteuil d’osier, elle feuilletait un magazine acheté la veille à l’épicerie du village. Les enfants dormaient et elle savourait la vacuité de l’instant. Le temps s’étirait pesamment. Elle s’assoupissait lorsque la vibration de son téléphone portable la fit sursauter.
- Charlotte ? C’est Maman
Sa mère avait toujours le chic pour l’appeler au mauvais moment. Agacée, Charlotte se contint
- Oui, bonjour Maman. Que se passe-t-il ?
- Ton père a relevé ton courrier ce matin. Il y avait une lettre manuscrite. Je l’ai ouverte et devine qui t’a écrit !
Charlotte soupira intérieurement, sa mère était toujours d’une indélicatesse insupportable.
- C’est Mickaël, poursuivit sa mère sans attendre sa réponse.
Charlotte frémit. Le père de ses enfants ne lui avait donné aucune nouvelle depuis 3 semaines. Ce soir-là, il avait quitté leur appartement parisien en claquant la porte, après une violente dispute.
- Tu n’as tout de même pas lu la lettre, Maman ?
Le silence qui lui répondit en disait long… Partagée entre l’inquiétude, le ressentiment et un espoir frémissant, Charlotte se redressa. Le magazine lui échappa et tomba sur l’herbe jaunie.
- Il t’écrit qu’il regrette, qu’il veut te revoir, que tu lui manques. Je suis si heureuse pour toi ma chérie.
- Maman, s’il te plaît ! Cette histoire ne regarde que moi, dit Charlotte d’une voix lasse.
Elle demanda néanmoins à sa mère de lui lire le courrier, incapable de rester dans l’incertitude, de ne pas connaître les mots qu’il avait écrit à son intention, recherchant dans ces quelques phrases lues avec enthousiasme par sa mère, les non-dits, les sens cachés, les pièges. Elle ne pouvait attendre son retour à Paris, 4 longs jours, pour savoir ce que Mickaël lui avait écrit.
Elle était partie seule avec les deux petits cet été. C’était la première fois. Cette petite maison qu’ils avaient louée ensemble à Plozevet était un havre de paix inestimable depuis 2 semaines. Mais la solitude était plus présente encore. Le temps n’était plus rythmé par ses horaires de travail, ni ceux de l’école. Seule à gérer, seule à penser, seule à pleurer. Elle s’était évertuée à vivre avec les enfants entre la paisible maisonnette, son jardinet, la plage à deux pas et la crêperie qui les enchantait tous les trois. Le retour se profilait, avec ses incertitudes et son grand lit vide. L’absence de Mickaël avait tout envahi, déposant un voile grisâtre sur tout ce qu’elle aimait tant vivre avant son départ.
A l’heure d’internet, il lui sembla qu’une lettre dénotait. Elle révélait, lui semblait-il, une intention si riche, un geste presque désuet qui donnait une intensité incroyable au message délivré. Elle voulait croire chacun des mots triomphalement lus par sa mère. Il regrettait, il voulait la revoir, revenir vivre avec eux. Ils lui manquaient.
Quand elle raccrocha le soleil lui parut plus lumineux encore. Une douce chaleur courait dans ses veines. Elle allait le revoir, c’était sûr. Elle allait enfin comprendre, enfin pouvoir pardonner. Mais déjà la porte de la maisonnette s’entrouvrait laissant deux petits diables bien éveillés se précipiter vers elle, réclamant leur bouée, le sable et la plage. Avec un sourire tremblant elle leur ouvrit les bras et les serra fort tandis que des larmes sillonnaient son visage à nouveau rayonnant.
Nouchka
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