Atelier 17 - 2019 - Sujets 1 - 2 - 5
Sujet N°1 – Logo-rallye
Vive la campagne !
Serrer une main à droite, une main à gauche, parfois les deux en même temps, finit par me donner la nausée. Certaines sont moites comme une pièce de sous-sol mal aérée, d’autres molles comme des chiffes ! Et puis tous ces hypocrites arrivistes qui veulent une place dans mon équipe ! Ça a le don de m’agacer prodigieusement ! Parfois, j’adorerais serrer le manche de ma cognée d’ancien bûcheron de toutes mes forces et frapper dans l’tas ! Ça ne servirait sans doute à rien, mais cela me défoulerait !
Je me souviens… Je l’ai vu pour la première fois. Arriver vers moi. Non, sautiller à ma rencontre. Un costume trop large, des chaussures trop grandes, une mallette trop en cuir. On aurait dit qu’il voulait occuper tout l’espace dans lequel il se noyait. Cela aurait dû m’alerter ! Il avait sorti une pile de dossiers de sa mallette trop en cuir. Des feuilles rangées au cordeau, des étiquettes bien mises. De sa voix de fausset, il m’avait dit :
- Il est possible de prendre la mairie au camp adverse. Il faut jouer sur différents tableaux à la fois : les jeunes, les vieux et les bancals. Ça, c’est l’électorat oublié qui peut faire la différence.
À l’entendre, j’en avais la moustache qui grattait ! Ou le poil qui se hérissait, comme on veut ! Depuis quand un jeune blanc-bec à peine démoulé de l’ENA croyait détenir la vérité juste en ayant étudié des sondages de votes, et en assénant des vérités éculées ? Alors que moi je connaissais le moindre recoin de cette ville, chaque habitant, pour avoir, minot, accompagné mon père médecin dans chacune de leurs familles, traîné dans tous les quartiers avec ma bande de potes, et ensuite travaillé pour une entreprise d’ébénisterie. Je n’avais qu’une envie : envoyer ce fac-similé de conseiller es-campagne dans sa chambre. Une soupe et au lit !
Il avait décortiqué un nombre considérable de campagnes électorales, étudié à la loupe de son ambition personnelle chaque comportement de votants potentiels en fonction de critères variés : le pouvoir d’achat, le plaisir ou le déplaisir de vivre ici ou là, le rythme de vie au travail, l’incidence de la météo sur l’humeur, etc. Il en avait conclu un certain nombre de poncifs le confortant dans l’idée que je pouvais obtenir toutes les voix que je désirais.
J’en voulais terriblement au parti de m’avoir assigné ce jeune arriviste prépubère, et je détestais du même coup et par-dessus tout faire campagne. En fait, je n’avais qu’une envie : y retourner.
À la campagne !
© Ouvrez Les Guillemets 63 – 30.10.19
Sujet n° 2 — Une belle histoire de vacances
Une belle histoire de vacances induit parfois des rencontres surprenantes, insolites, qui s’impriment à vie dans les méandres de notre mémoire. Et si une belle histoire de vacances était juste la magie d’un lieu, la sensation inattendue de s’y sentir chez soi ? De sentir au fond de son être que là est sa place ? Allez ! Je vous emmène !
Si je vous dis Ploumanac’h et la Côte de granit rose, où, défiant les lois de l’équilibre, d’énormes blocs de granit créent un décor unique ? Sur la lande comme en mer, la côte devient cuivrée et comme sculptée par les éléments.
Les chaos de granit rose
Si je vous raconte l’histoire d’un monde englouti, à la frontière de deux départements emblématiques, ce Lac de Guerlédan tapi au creux de la Vallée du Blavet. Savez-vous qu’il recouvre une ancienne vallée d’ardoisiers depuis près d’un siècle ?
Le Lac de Guerlédan
Si je vous parle du Grand Site de France Cap d’Erquy – Cap Fréhel, espace naturel époustouflant qui déroule à vos pieds 600 hectares de landes entre falaises de grés rose et mer d’émeraude ?
Et le Fort-La-Latte, joyau médiéval plongeant dans la mer, solide vaisseau armé contre des envahisseurs ancestraux ?
Le Cap Fréhel
Le Fort-La-Latte
Le Cap d’Erquy
Enfin, si je vous guide jusqu’à la Pointe de l’Arcouest, pour une traversée hors du temps jusqu’à l’Ile aux Fleurs, Bréhat, où les voitures sont bannies et le rêve permis à 200 %, alors, vous saurez qu’une belle histoire de vacances s’est écrite dans mon cœur et dans ma tête.
Pointe de l’Arcouest et Île de Bréhat
Vous voici contée l’histoire d’une rencontre avec un département entre ciel et mer, entre falaises et prairies. Un lieu chargé de légendes, de senteurs et de couleurs. Empli d’âmes fortes aussi. Un espace de caractère qui le distingue de ses autres frères de Bretagne.
Un département qui me fascine et dont je retombe amoureuse chaque fois que je foule l’une de ses plages ou l’un de ses sentiers.
Août 2019 a marqué mon retour en ces lieux après cinq années d’absence. Moi l’Auvergnate attachée à « mon » Puy-de-Dôme, je suis prête à quelques infidélités pour ces « Côtes de la Mer » qui me ravissent le cœur et l’âme.
Photos issues de mon album personnel.
© Ouvrez les Guillemets 63 – 30.10.19
Sujet n° 5 — Sujet libre : Que sera notre alimentation devenue… d’ici 25 ans ?
2044… c’est demain !
- Aklébaïde, Minoxène, à table ! C’est l’heure de déglutationner. Au menu : soufflet de reptiloviçaire et cornétales en gelée. Cela fait longtemps que vous n’en avez pas mangé. Il faut vous entraîner.
- Oh mais Mama-Mitonne, tu sais bien que nous n’arrivons pas à digérer ces aliments-là. Notre estomac est encore bien trop fragile. L’opération est si récente.
- Vous ne m’apprenez rien mes adolescensibles préférés. Mais vous avez entendu le diétitologue : après une intervention comme celle que vous avez subie, l’important est d’y aller pas à pas, fourchetée après fourchetée, pour que la nourriture piscivolifère s’habitue à vous et que vous vous acclimatiez également à elle. Vous n’avez pas le choix.
Je m’adresse à vous, lecteur et lectrice : avez-vous compris ce dialogue de fou ? Sommes-nous sur une autre planète ? Dans une dimension parallèle ? Ou bien dans un laboratoire culinaire expérimentant de nouvelles recettes à destination de la jeune génération ?
Nous sommes en présence d’un foyer familial des plus classiques, avec des jeunes dont les habitudes alimentaires sont quelque peu malmenées après des décennies de malbouffe chez les jeunes générations qui les ont précédées. Si le vocabulaire vous apparaît comme une langue étrangère, rien que de très normal.
Regardez par le petit bout de la lorgnette du Pass’avenir temporel, et vous constaterez que nous avons fait un bond dans le temps, dans la France de 2044. Vingt-cinq ans pour atteindre des mutations trans-alimentaires destinées à pallier à la fois des troubles métaboliques collectifs importants, et l’anéantissement de nombreuses ressources végétales et animales.
Déguster un steak de bovin élevé en plein air, manger du filet de cabillaud de l’Atlantique ou des choux-fleurs cultivés sur le sol breton est devenu impossible. Place aux nouvelles denrées pour adeptes convaincus de végétarisme et flexitariens chevronnés, ou jeunes estomacs transformatés pour accueillir goûts, saveurs et textures expérimentaux.
C’est ainsi qu’Aklébaïde et Minoxène, deux frères jumeaux de 16 ans, se sont vu installer un système digestif de synthèse destiné à compenser à la fois les excès alimentaires et les carences en vitamines, oligoaliments, etc. Pour l’heure, ils essaient d’amadouer leur mère pour éviter les plats qu’elle leur a concoctés, mais c’est peine perdue. Elle se montre inflexible sur le protocole diétético-médical tout en jouant quand même sur leur corde sensible.
- Aklébaïde, mon super-fils ultra-connecté ! Aurais-tu envie de sculpter des petits légumes de notre potager souterrain avec notre Aliment’ Imprim 3D ? Tu pourrais aussi t’inspirer des tutoriels disponibles sur internet pour créer des mini pizzas Regina. J’ai justement fait le plein de cartouches de farine, d’huile, de sauce tomate et de fromage liquide. Les champignons lyophilisés devront être réhydratés. Je peux m’en occuper si tu veux.
- Dis donc Mama-Mitonne ! Toi tu sais t’y prendre pour arriver à tes fins. OK, je vais le faire. Mais me faire avaler ton soufflet de reptiloviçaire ou tes cornétales en gelée, jamais !
- Très bien ! Alors je vais les remplacer au menu par des blinis de criquets aromatisés à la spiruline et des raviolis à la sauterelle de Madagascar. C’est rempli de protéines. J’en ai justement des barquettes au congélateur. Il suffit de quelques secondes pour les ramener à température en les plongeant dans le thermofuseur à ondes fortes.
- OK d’ac’. J’ai compris. Ne sors rien d’autre. C’est pire que tout, les insectes ! Tu as gagné ! Je vais… nous allons déglutationner ce que tu as préparé !
Minoxène, qui jusqu’à présent avait soigneusement évité de mêler de la conversation, préférant comme toujours rester dans l’ombre de son aîné de 1 min 29 s, prit la parole d’une voix quelque peu hésitante :
- Et en plus, c’est écologique, renchérit son frère. Et puis moi, j’aime bien la texture et le goût d’algue de la membrane protectrice, biodégradable et comestible. Que demander de plus ?
Toujours la même histoire dans cette maison de demain : négocier de drôles (en tous les cas pour nous, êtres humains de 2019) et surprenants menus avec des adolescents rebelles (là rien n’a changé : belle marque de stabilité !!) et marqués à la fois du sceau de la food-technologie du futur et de l’hyper-connexion. Tiens ! Le Drone Livr’ à Dom’ des supermarchés Extense Millenium est justement en train de livrer une commande d’épicerie sèche en cubes assortis conditionnés dans des caissons compartimentés ultralégers.
Aklébaïde le réceptionne et signe le bordereau de livraison numérique.
Tout doucement, sans faire de bruit, éloignons-nous de la lorgnette du Pass’avenir temporel et laissons cette famille apprivoiser son assiette du futur.
Pour nous, 2044, c’est demain…
© Ouvrez les Guillemets 63 – 30.10.19
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Note de l’auteur : les mots en italique sont de la pure invention. Lorsqu’ils sont répétés, ils n’apparaissent plus en italique
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