Symphonie Verticillée - ,Chapitre A
Chapitre A
Adrien : Bonsoir, chérie. Je suis bien rentré. Le TGV est bondé mais il est à l’heure. Merci pour ce merveilleux week-end… Je t’aime, mon cœur.
Ava : Moi aussi, je t’aime… Il fait chaud partout en France. Au moins ici, j’ai de l’espace et de l’air. Je suppose que tu vas rester un certain temps à Paris ?
Adrien : Oui. Je dois impérativement finir mon rapport. C’est très important pour mon travail. Le problème est que plus j’écris, plus j’en ajoute. On m’accorde un délai supplémentaire, mais c’est tout juste. Je tiens à peaufiner. Ceci dit, tu m’as beaucoup inspiré. Je t’en parlerai de vive voix.
Ava s’abstient à lui poser la question qui lui brûle pourtant les lèvres. Celle qui endigue la bonne circulation de son sang... Pourquoi était-il bouleversé suite à son entretien téléphonique avec sa sœur Elena. Que s’est-il passé pendant son absence à Paris ?
Elle s’est dit que jamais elle ne cherchera à s’ingérer, à s’immiscer dans le passé d’Adrien. L’interroger ? Jamais. Refuser d’exiger quoi que ce soit. Ne pas le déranger pour un oui, pour un non. Un point d’honneur qu’elle se fixe comme conduite à tenir. S’il se confie à elle, son écoute aura l’intensité nécessaire. Mais pas plus. Exit toute critique inappropriée. Surtout pas de commentaires à brûle-pourpoint. Qu’elle se défasse vite de cette habitude de laisser échapper sans entrave la coulée de ses mots souvent mal à propos et hors de tout contrôle ! Curieuse en tout, elle s’abstient ici de l’être… Puis, paradoxalement, naît en elle une certaine irritation d’avoir à se contrôler contre elle-même. De son plein gré en plus… Tout devient un peu plus compliqué... Vraiment viral !
Trente années d’absence, ce n’est pas rien. Il s’en est déjà formé, longeant les côtes du littoral, un océan de vagues déferlantes d’expériences vécues séparément. A leur cœur, de s’affranchir des vicissitudes. A eux, de jeter ensemble une nouvelle ancre pour labourer, draguer le fond … sans avoir à y mordre la poussière. Et à l’heure des sept milliards et demis de terriens qui pèsent de tout leur poids intenable sur la fragile planète, une vie, courte ou longue, ne vaut rien dans nombre d’endroits. Mais vu d’ici, depuis trois jours, plus rien ne peut égaler la vie d’Adrien, devenue de plus en plus vitale à tout son être à elle.
Est-elle en train de perdre ses propres repères de liberté voulus, affirmés et affermis au fil des jours en détachements divers et variés ? Passer du calme plat au chaudron bouillonnant de sentiments… Quel vertige ! Le vertige des transferts d’énergie !
Malgré les
Quant à mon problème personnel, tout s’est bien passé. En douceur et dignité. Tu n’as pas à t’inquiéter, chérie. Ni pour moi, ni pour Julia.
Ava : Je respire. Je ne veux pas être responsable de quoi que ce soit. Même si c’est totalement indépendant de ma volonté … Je ne serais pas heureuse avec ça au plus profond de moi-même. Je t’écoute …
Adrien : Après mon départ vendredi matin pour Montpellier, Julia est passée voir Elena qui lui avait tout raconté et expliqué ce que tu représentais pour moi, il y a trente ans. Et ce que tu peux représenter pour moi, à présent. Comme ces derniers temps, entre elle et moi, la relation battait déjà de l’aile, Julia a donc préféré prendre les devants. Elle a repris ses affaires et quitté définitivement mon appartement. Dans l’attente de reprendre en septembre son propre appartement dans le 14ème loué actuellement à des touristes de passage, elle a rejoint aujourd’hui ses parents en vacances chez des cousins au Québec. Elle m’a laissé un mot, me priant entre autres de m’occuper, si besoin est, de ses touristes durant leur séjour parisien. Je pense que c’est un soulagement de part et d’autre. Pour nous tous.
Comme elle garde le silence, il poursuit :
Ma soeur a été adorable et d’une efficacité redoutable. Non seulement, elle s’est montrée très persuasive auprès de Julia, elle s’est occupée ensuite, avec l’aide de sa femme de ménage, à rendre mon appartement propre comme un sou neuf, vide de toute présence féminine. Un appartement ordonné d’homme redevenu célibataire. Plus pour longtemps (elle l’entend sourire) puisqu’il est prêt à t’accueillir pour tes prochaines escapades parisiennes, chérie. Il y a tant de choses à voir ici à Paris. Pense à quitter ton Ermitage de temps en temps…
Que lui dire ? Que la joie l’étouffe ? Qu’elle peine à respirer ? Que son rêve de trouver une épaule solide pour reposer sa tête souvent brûlante de fièvres diverses, vient de se réaliser ? Pourvu qu’il ne s’évapore pas au moindre réchauffement climatique …
Ava : Je pense qu’entre femmes, Elena a su trouver des mots justes à fournir à Julia. Ce que toi, principal acteur de cette relation, tu ne pourras jamais le faire. Julia a besoin d’un autre regard que le sien, que le tien. Un regard neutre mais bienveillant et juste de réalité tangible. Vu d’ici, je les admire toutes les deux. Elena pour sa perspicacité. Dévouée, elle est soucieuse de ton bien-être psychologique. Tu as beaucoup de chance de l’avoir comme sœur. Et j’admire Julia pour l’élégance de son geste… car tout désamour est tellement douloureux, quelque soit sa forme d’expression.
Adrien : Je suis surtout soulagé. Tu ne peux imaginer à quel point !
Ava : Le rapport actuel entre femmes a pris une autre dimension. Beaucoup plus fine, plus intelligente, gorgée d’empathie au sein d’une « sororité » enfin sortie de ses ornières clandestines, débarrassée de ces préjugés malveillants, voire insultants, proférés par des hommes indélicats qui s’illusionnaient pouvoir les clouer à perpétuité…. Une dimension éloignée de tout cliché sexiste. D’autres valeurs sont passées par là. Mais le chemin est encore long dans nombre d’endroits.
Adrien : Je crois que je vais aller …
Ava : Tout le monde connaît la signification du mot « fraternité » entre hommes, mais la « sororité » ? Bien peu en connaissent la portée. Alors que c’est là l’avenir de l’humanité. C’est ce que, moi je crois, pour avoir rencontré des femmes admirables.
Adrien : Je suis de ton avis. Vaste sujet… (Elle l’entend bailler) … Je crois que je vais maintenant au lit. Il est déjà minuit. J’ai eu aujourd’hui ma dose de fatigue et d’émotion. Demain lundi, ce sera la course au bureau. Bonne nuit, mon cœur.
Remettant le combiné du fixe sur le socle, elle réalise qu’elle a oublié de lui demander, l’air de rien, juste en passant, l’âge de Julia.
Elfina
Ermitage-sur-Lez
01/08/2019
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