Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 14 - 2019 - 4ème sujet

 


Esquisse d’une histoire à vivre.

 

Théâtre d’un seul acte aux trois scènes

 

Personnages

 

Hadrien (82 ans) personnage central bien qu’invisible

Adeline (20 ans) sa petite-fille, orpheline à 11 ans (parents décédés dans un crash d’avion)

William (23 ans) cousin éloigné d’Adeline

Berthe (66 ans), la gouvernante

Léa (75 ans),

Marc (36 ans)

 

Scène I

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Le salon dans la pénombre du crépuscule automnal.

Au lever du rideau, Adeline sur le canapé, un livre à la main,

William devant son ordinateur et Berthe arrangeant quelques bibelots.

 

 

WILLIAM : Beaucoup de cadavres dans ce thriller ?

 

ADELINE : Non, il s’agit d’une femme défigurée qui cite Cicéron et Virgile. Son masque de chair fascine le Commissaire Brunetti. Et dans son fief à Venise, il cherche à déchiffrer le drame de son histoire. Ah ! Venise, il faut qu’on y retourne un de ces jours, William.

 

WILLIAM : Bien sûr, mais pas tout de suite. Tu le sais bien.

 

BERTHE : Les Enfants ! Vous devriez d’abord lui demander sa bénédiction pour cet heureux événement que vous projetez tous les deux.

 

ADELINE (se lève et vient enlacer Berthe) : Il faut que tu nous aides, Berthe ! Absolument !

 

BERTHE : Je ne peux rien promettre … Va-t-il m’écouter ? Ces jours-ci, je guette le moindre de ses gestes. Hélas ! Je me résigne à ne rien aborder, je n’ose rien dire, rien évoquer … alors que tout est en suspens. J’ai l’impression qu’il persiste à attendre quelque chose avant de s’en aller… Je m’inquiète de plus en plus. Par ailleurs, je vais monter voir comment il va. (Elle sort)

 

WILLIAM (s’approche d’Adeline et la serre dans ses bras) :  Je n’en peux plus avec ce désir qui me brûle. Je suis affamé de toi, Adeline. Ce désir est-il trop infâme, à tes yeux ? Il m’importe de le savoir.

 

ADELINE : Tant que grand-père …

 

On sonne à la porte d’entrée.

 

WILLIAM : J’y vais.

 

Entrent Léa et Marc

 

LEA : Bonjour Adeline. Je suis Léa.

 

ADELINE (surprise) : Bonjour Madame. On se connaît ?

 

LEA : Moi, je vous connais, tous les deux, Adeline et William, et ce bien avant vos naissances. Je connais tout de vous. Mais laissez-moi d’abord vous présenter mon fils Marc.

 

WILLIAM (silencieux et méfiant, ne fait aucun geste).

 

ADELINE (elle tend la main droite à Marc qui la saisit promptement).

 

MARC : Je suis le fils d’Hadrien et donc je suis ton oncle, Adeline ! Comment appelle-t-on ? Un demi-oncle ? Un oncle sur le tard ? Je suis bien heureux de te connaître enfin. J’aurais préféré le faire dans d’autres circonstances mais la situation étant ce qu’elle est, il est urgent de tout mettre en ordre.

 

ADELINE  : Quel ordre ?

 

LEA : Où est Berthe ? Je dois monter voir Hadrien.

 

MARC : Je monte avec toi voir Père.

 

Léa et Marc sortent.

Adeline, sidérée et fortement secouée, se laisse choir comme une masse sur le canapé.

Rideau.

 

Scène II

 

Le salon dans la douce lumière d’une matinée d’automne.

Revenus des obsèques d’Hadrien,

Léa dans le fauteuil stressless,

lui font face Adeline et William sur le canapé.

Berthe sort les tasses de l’armoire et va dans la cuisine préparer le thé.

 

LEA : Quels sont vos projets, Adeline et William ?

WILLIAM : Nous prendrons l’avion samedi prochain pour Los Angeles, la cité des anges. Là, nous allons nous marier. Un simple mariage civil. Le strict minimum. Le moins coûteux possible. Un mariage loin de tout. Et pourquoi pas ? Y chercher du travail pour nous deux. Et s’il y a des difficultés avec le green card, alors nous irons au Québec.

 

LEA : Bien. Marc et moi, nous sommes profondément désolés pour le choc causé par notre présence soudaine dans vos vies. Je me dois ici, Adeline et à toi aussi William, de vous apporter quelques éclaircissements sur notre relation, entre Hadrien et moi. Elle est longue et ancienne, bien avant vos deux naissances. Que de fois, et notamment après le décès de ta grand-mère l’an dernier, j’ai insisté auprès d’Hadrien pour qu’il vous révélât notre existence. Notre première rencontre datait de 1982, lors d’un colloque sur les ravages de la sclérose en plaques. J’étais une des organisatrices de la conférence et quand Hadrien était venu au stand me demander de plus amples renseignements, le coup de foudre avait été immédiat. Hadrien et moi, nous avions réussi à passer ensemble, chaque année, quelques jours en été à Pont-Aven, toujours dans le même hôtel. « Les meilleurs jours de ma vie » comme il le dit. Quelques jours de répit  loin des affres de la sclérose en plaques de ta grand-mère. Au su et au vu de ma propre famille, il avait reconnu officiellement la filiation de Marc à sa naissance en 1983. Pour préserver ta famille, Adeline, nous avions choisi le silence et la clandestinité et tous deux nous avions eu à souffrir de cette double vie d’Hadrien. D’abord réticente, j’avais peu à peu compris son attitude et peut-être, en moi-même, avais-je déjà accepté en pleine conscience ce choix de taire notre relation. Il tenait à épargner à ta grand-mère toute nouvelle souffrance, elle qui était déjà très affaiblie par sa maladie depuis 1980. Il me disait : 

 

« Il est de mon devoir d’accompagner Huguette dans ce voyage au bout de l’enfer ».

 

L’enfer de l’éruption brutale de la maladie d’Alzheimer suite au crash d’avion en 2010 où ont péri tes parents. Cet accident n’avait fait qu’empirer la situation déjà bien frustrante de part et d’autre.

 

ADELINE (sanglote et un collier de larmes inonde son jeune et beau visage.)

 

LEA : Il me coûte de vous révéler tout cela. De vous faire revivre tout ça. Mais comme vous partez bientôt pour l’Amérique …  Je n’aurais peut-être plus d’occasion de vous voir de sitôt. Moi-même à soixante-quinze ans, je ne suis plus très loin de la tombe. Tout doit être dit.

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(Léa quitte son fauteuil et vient prendre Adeline dans ses bras.) Et puis, j’ai tellement de choses à faire ici. Tout d’abord mettre de l’ordre dans ses écrits. Moi seule peux le faire car depuis vingt ans, leur double s’accumulait chez moi dans mon appartement. Vous êtes au courant de ses écrits ?

 

ADELINE & WILLIAM : Non, on ne sait rien.

 

LEA : Ça ne m’étonne pas. Ça c’est bien lui, mon Hadrien. Une réserve et une discrétion sans pareil. Il m’avait dit un jour « Mon père a choisi le prénom d’Hadrien pour moi, son seul fils. De cet empereur romain auréolé de sagesse dans l’art de gouverner, il me faut trouver un défi à relever en douce ». Et comme il avait beaucoup aimé les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, il commençait à écrire ses réflexions sur les problèmes contemporains. Et pour nombre de sujets, il s’était beaucoup approché de Michel Serres dont il appréciait l’œuvre et la pensée. Malheureusement, tout était resté à l’état d’esquisses … 

 

BERTHE : Son cœur et son cerveau n’ont pas eu la patience, ni la force d’attendre pour finir le travail. Je l’ai bien constaté ces derniers mois. Comme si ses muscles fondaient.

 

LEA : Berthe, la maison continue d’être aussi la vôtre. Restez-y autant que vous le désirez. Je le souhaite, vraiment. Vous avez tant fait pour soigner Huguette puis Hadrien. Et puis c’est vous qui avez élevé Adeline après la mort de ses parents. Que de fois, Hadrien m’avait dit « Sans Berthe, c’est la catastrophe assurée ! ». Je tiens ici à vous répéter ses paroles

 

BERTHE : Merci M’dame Léa. Vous êtes bien bonne. Mais je pense qu’il est temps pour moi de me retirer à la campagne. La maison est devenue trop grande pour mes jambes. Dans sa bonté, Monsieur Hadrien m’a déjà offert de quoi me débrouiller pour mes vieux jours. Je vais rejoindre mon frère aîné dans le Sud. Veuf depuis six mois, il a besoin de moi. Il a un petit lopin de terre pour son potager et ça me plaît l’idée de pouvoir enfin jardiner et voir pousser les légumes.

 

LEA (se retourne de nouveau vers Adeline) : Ton grand-père était si fier de toi. Toi la prunelle de ses yeux (Enlacées, elles pleurent toutes les deux). Si fier de ton talent d’écriture, fier de ce que tu es devenue alors que la vie n’a pas toujours été très facile ni tendre pour toi, ma chérie. « Elle écrit merveilleusement bien et on voit que ce n’est pas une fille en papier », me dit-il tout en ajoutant qu’il est grand temps de rallumer les étoiles naissantes dans la famille. Il m’a chargée de te dire que bientôt tu trouveras le trésor qui dort en toi. Et ce n’est qu’une question de temps et de persévérance.

 

ADELINE : Comme c’est dommage …

 

LEA : Qu’est ce qui est dommage ?

 

ADELINE : Que je ne te connaisse que maintenant. Que de temps nous avons perdu !

 

LEA : Sais-tu que tu viens de me faire le plus beau des compliments ?

 

Entre Marc qui suspend sa veste de daim à la patère.

 

MARC (il esquisse un sourire devant Léa et Adeline tendrement enlacées) : Mon coeur est un chasseur solitaire. Il est à prendre. Quelqu’un est-il intéressé ? Toi, William ? Père m’a beaucoup parlé de toi, tu sais ?

 

WILLIAM : Que dit-il à mon sujet ?

 

MARC : Que tu as le cœur sur le Web … toujours prêt à secourir avec tes connaissances en informatique. Cagnotte par-ci, cagnotte par-là pour des enfants malades, la plupart atteints de leucémie … sans oublier de faire le clown à l’hôpital Necker.

 

WILLIAM : Et moi qui croyais qu’il s’opposait à notre projet de mariage.

 

MARC : Il vous trouve bien trop jeunes pour le mariage. Je pense qu’il n’avait pas tort.

 

LEA : Les Enfants ! Demain, je vous amènerai tous déjeuner au restaurant Au Bonheur des Dames. C’était là notre premier restaurant à Hadrien et à moi. Je veux que vous connaissiez son fameux cadre d’Art Déco. Il n’est pas question que vous refusiez de venir avec nous Berthe. Vous êtes mon invitée car vous êtes, pour nous tous ici, un membre à part entière de NOTRE famille. Dorénavant appelez-moi simplement Léa.

 

Scène III

 

LEA (à elle-même) : Sur la route de Madison était le film préféré de mon Hadrien qui partageait avec Clint Eastwood l’allure élancée et élégante de l’homme d’âge mûr. Comme Meryl Streep, je vais me plonger dans le souvenir de ces vestiges du jour partagés. Ce sera notre multiple splendeur à nulle autre pareille. Mais pour pleurer en douce son absence, je vais faire comme ces oiseaux qui se cachent pour mourir : bien me cacher !

 

ADELINE (à elle-même) : Dans quelques jours, je serai avec William aux USA. La grande aventure nous attend. Quelle perspective ! Des plus passionnantes ! Mais aussi quelle insoutenable légèreté de l’être ! Aurais-je la force pour tout embrasser, tout prendre, tout capter ? … Je pense que oui. Ne suis-je pas la petite-fille adorée de mon grand-père ? Son amour va guider chacun de mes pas et je vais réussir. N’importe comment mais je sais que je vais réussir mon écriture. Plus tard, je travaillerai avec Léa sur ses écrits, une fois de retour en France. Je peux d’ores et déjà déclarer comme Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell : Demain, ce sera un autre jour !

 

BERTHE (à elle-même) : Quand il était mineur de fond, mon frère avait l’habitude, à chaque échelon gravi, de s’exclamer Germinal ! Comme si ce mot effaçait toute hiérarchie sociale ! A présent, en retraite, plus de pioche mais bêche et râteau pour son lopin de terre près de Montpellier. Et des légumes frais, toujours disponibles chaque jour de la saison. Quand je pense au soleil qui m’attend là-bas, mon corps bondit de joie. Plus de grande maison à entretenir, plus de marches d’escalier à gravir, plus de grande cuisine à faire, plus de soins à apporter aux autres … je pense que j’ai suffisamment donné. Dans un sens, je pense que la vraie épouse d’Hadrien, c’est moi et moi seule, même si dans son intégrité, Hadrien n’avait jamais cherché à me séduire. Même s’il tenait à garder cette distance, je sais en mon for intérieur, qu’il m’appréciait au-delà de toute apparence sociale. L’indispensable pour lui, c’était MOI et MOI seule. La dévouée c’est encore moi. Léa n’avait eu avec Hadrien que quelques jours par an en été à Pont-Aven alors que moi je l’avais toute l’année. Nous avions partagé tellement de choses au cours de ces longues années… Et puis, il y a ma Adeline chérie.  C’est NOTRE enfant à nous deux. Mon Dieu ! Comme je suis heureuse de partir pour le Sud. Désormais, je peux vivre MA VIE et vivre sans obstacle la mémoire de ces jours passés auprès de mon cher et tendre Hadrien.

 

 

Elfina

Ermitage-sur-Lez

07/06/2019



07/06/2019
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