Maridan-Gyres

Les soldes

 Le vendeur, pourtant expérimenté, ne peut maîtriser l’angoisse qui l’envahit, lorsque des cris perçants parviennent à ses oreilles couvrant le brouhaha de ce jour de soldes. De mémoire de chef du rayon habits, à l’étage de ce grand magasin, nul n’avait entendu pareilles sonorités aussi  grinçantes. L’employé s’approche. Une femme et un homme s’apostrophent tels des charretiers. Ils se disputent une robe blanche à pois bleus. Ils affirment l’un et l’autre être le premier à avoir saisi  le trophée désiré dans le présentoir; elle déclarant  ce tissu assorti à ses yeux, et lui ayant promis à sa compagne de lui rapporter ladite tenue repérée hier en vitrine ; il en allait de son bonheur. Voilà donc le fondement de la querelle. Très vite une assemblée encercle les deux belligérants. Chacun encourage son poulain, sans même le connaître. Deux clans naissent : les féministes à tout-va, les partisans de l’amour à tout prix. Les deux combattants tirent  le trésor convoité avec forces ruades scandées d’un langage des plus fleuris. Des irlandais au tir à la corde aux jeux de la St Patrick. Le chef de rayon essaye de les séparer en vain. Il menace de fermer le rayon. Grand mal lui en a pris, toute la foule crie son opposition. La révolution gronde. La lutte fait verser la corbeille de vêtements à terre. Impossible pour le préposé de faire entendre raison aux deux querelleurs. Ce qui devait arriver arriva, le graal se déchire. La femme et l’homme repartent chacun de son côté, le visage défiguré de sa mauvaise fortune. La foule se dissipe en quelques minutes, laissant le pauvre vendeur déconcerté bras ballants au milieu des restes du carnage.

Dorémi

22/08/2024