Maridan-Gyres

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Atelier 13 - 2024 - Sujets 11 et 12

 

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A l’étage de notre humble demeure, c’est l’effervescence, ma mère et mes cousines ont été rejointes par une multitude de femmes du quartier. Mais que se passe-t-il ? On se croirait dans un poulailler. Je fini par apprendre que le grand maître, M. Léonard de Vinci va venir choisir un tissu dans l’échoppe de  M. Kotton, là où ma mère est vendeuse depuis l’ouverture de la boutique. La renommée de celle-ci était fondée sur des valeurs sûres car le patron avait fait fortune en faisant venir moultes tissus des Indes. Toute cette assemblée féminine trépigne d’impatience, car le bruit court que le Maître rechercherait une jeune femme pour lui servir de modèle pour sa prochaine création. J’aurais bien du fermer la porte de ma chambre car je n’en peux plus de les entendre piailler ainsi !

Je décide alors de rejoindre discrètement les cuisines et de me verser un bon chocolat chaud que jr vais déguster dans mon coin préféré, près du placard à balais. De là, je pourrai tout voir et tout entendre sans être vue.

Le Maître arrive et un grand silence se fait au rez-de-chaussée. M. Kotton dirige son futur client vers les tissus les plus brillants et de ce fait, les plus chers.

Léonard de Vinci attrape un doré avec quelques petits motifs vert et bleu. Ayant déjà en tête l’ébauche de son futur tableau, son choix est rapide, ferme et définitif.

C’est en inspectant l’arrière-boutique qu’il m’aperçoit juchée sur mon tabouret, ma tasse à la main et la bouche auréolée de chocolat chaud, je suis complètement apeurée car je viens de réaliser que mon père va surement m’asséner quelques coups de martinet pour mon insolence. Je n’aurais jamais dû rester au magasin en présence d’un client. Le peintre me toise de la tête aux pieds puis s’adressant à moi :

  • Mademoiselle, que diriez-vous si je vous demandais de vous poser dans mon atelier, dans une position aussi pensive que vous avez en ce moment ? Vous seriez enveloppée dans l’étoffe dorée que je viens de choisir, mais il faudrait coiffer un peu vos cheveux et y déposer quelques fleurs.

 

Je cherche désespérément le regard de ma mère pour qu’elle vienne à mon secours, mais elle me regarde et hausse les épaules. Que dire, que faire ? Sa façon de se tenir ainsi devant moi et son assurance me déconcerte complètement. Je me mets à bredouiller :

 

  • Je…. Excusez-moi….. Monsieur,…..mon père m’interdit de parler aux étrangers. Il….
  • Je vais de ce pas en faire la demande à votre père. Il va falloir que vous prépariez vos bagages car nous partirons demain dès l’aube nous installer au Château du Clos Lucé où j’ai installé mon nouvel atelier suite à l’invitation du roi François 1er. Je pense sincèrement qu’il nous faudra bien compter plusieurs mois de travail avant l’achèvement de mon chef-d’œuvre et votre retour à la capitale.

 

Oh la la ! C’est la première fois que je vais m’éloigner de ma famille, je ne sais pas quand je reviendrai et si je reviendrai d’ailleurs, tout est flou, la tête me tourne. De plus c’est la première fois que je vais faire ce travail !...

Le soir même, après de longues négociations, mes parents m’affirment que c’est un honneur pour toute la famille que j’ai été choisie comme modèle par ce monsieur. A vrai dire, mon père ne m’a pas laissé le choix, il paraît que c’est bien payé. Pour lui, toutes les occasions sont bonnes pour récupérer de l’argent qu’il va aussitôt dépenser dans la taverne de Maître Terkan à deux pas de chez nous.

Ma mère prépare donc mes affaires qu’elle entrepose dans une petite malle. Je n’arrive pas à fermer les yeux de la nuit. Plein de pensées traversent mon esprit et je me pose plein de questions auxquelles je ne puis trouver de réponses.

Je ne sais pas exactement quelle va être la destination du tableau qu’il prévoit de faire, mais j’espère qu’il ne m’apportera pas de problèmes, car Dame Guenièvre avait expressément demandé à servir elle-même de modèle. Mais Monsieur Léonard a poliment refusé prétextant que son « état actuel » ne se prêtait pas tellement à une posture où elle serait pliée en deux et cela pendant un temps assez long et que le château était composé de très grandes pièces où le chauffage laissait parfois à désirer !

Ce matin, dans les cuisines, j’ai entendu un autre son de cloche, certains ont fait la réflexion que le peintre aimait mieux de la « chair fraîche » comme modèle !

Madame Guenièvre, qui essaye, pour la quatrième fois de mener à bien une grossesse désirée par son époux, a des cernes sous les yeux qui lui donne l’impression d’avoir 20 ans de plus que son âge réel. Alors forcément, moi qui viens juste de souffler mes 20 bougies…. Mais ne croyez surtout pas que je vais me laisser courtiser par un artiste en herbe qui n’arrive pas à vendre ses croûtes et propose ses services aux nobles de la cour pour une bouchée de pain. Non mais !

Après un long voyage, nous arrivons dans le Val de Loire en pleine nuit. Au petit matin, je découvre le parc et suis entièrement conquise par tant de verdure et par la majestueuse silhouette du bâtiment. Bon, ma chambre est située sous les toits, mais la cuisine est bonne. Le chef est un homme trapu et jovial. Toute son équipe travaille dans la joie. L’intendant me fait rapidement faire le tour de la propriété, et surtout me montre les endroits où je ne devrais, en aucune façon, me rendre : le bureau du maître, la salle à manger, les chambres, la bibliothèque, l’atelier de ferronnerie, et l’atelier des sculptures ; bref, je ne pourrais aller que dans ma chambre, les cuisines pour les repas, l’atelier où le peintre est censé faire mon portrait, les écuries et l’arrière du château. 

 

Il faut que je vous dise, qu’en ce qui concerne ma « tenue » de modèle, il ne s’agissait pas exactement d’une « robe » qu’il me demandait de porter, mais d’un drapé d’une étoffe dorée dans laquelle la gouvernante devra m’enrouler chaque matin, telle une marchandise, pour donner plus de relief et de couleurs au tableau du Maître.

Je ne vous ai pas parlé de ma cousine italienne Lina Mosa dont le portrait est figé au musée du Louvre.  Le maître lui avait fait porter, à elle, une vraie robe sombre en soie plissée sur le devant, avec des manches jaunes et avec des broderies au niveau du décolleté.

Alors que pour moi, vous avez vu mes épaules ? Il a refusé que je mette un châle. Et je peux vous assurer qu’en ce moment je me caille les miches. Le feu de la cheminée de l’atelier n’est même pas entretenu, par souci d’économie d’après l’artiste, mon œil, c’est le plus grand radin que je connaisse. Bref, vous l’aurez compris, je me pèle !

Ne vous y fiez pas, j’ai l’air de dormir, mais je fais semblant pour que l’on me fiche la paix.

Ce matin, dans les journaux parisiens on ne parlait que de la fuite de ma cousine. Lorsque j’arrive dans les cuisines, tout le personnel est en effervescence. Certains photographes malveillants ont réussi à prendre Lina Mosa en flagrant délit de fuite. Elle aurait été aperçue, tard le soir, dans les rues sombres de Paris. D’après sa photo dans le journal, elle a l’air sure d’elle et elle a l’air heureuse. Je parie qu’elle a un plan et qu’elle ne remettra jamais les pieds dans cette capitale bruyante et malfamée. Ce n’est pas moi qui la jugerais. J’aime trop la liberté.

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Bon, allez, Léonard, on se dépêche, j’ai pas que ça à faire, le chef a préparé un pot au feu pour la fête des voisins de demain et je suis de corvée de patates comme tous ceux qui habitent sous les combles. Tous les invités vont se réunir au grand salon ou dans le parc pour lamper, festoyer et valser pendant des heures. Et qui sait, moi aussi je pourrai en profiter pour prendre la poudre d’escampette et rejoindre Lina Mosa pour un voyage en Italie, notre pays d’origine !...

 

Fleurs de mai



13/08/2024
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