Maridan-Gyres

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Atelier 13 - 2024 - Sujet 12

 

 

De fil en aiguille

 

Tout a commencé quand maman est partie. Un poste lui a été proposé à Oslo en Norvège et elle l’a accepté. Elle ne supportait plus sa vie d’épouse et de mère.

A son arrivée, ses appels furent enthousiastes, elle découvrait un nouveau pays, une nouvelle vie et un nouveau job. Puis petit à petit, ils se sont espacés.

A la maison, les premières semaines furent festives : pique-niques, restos, soirées en tout genre avec ou sans ami… Papa rivalisait d’ingéniosité et de fantaisie pour faire vivre notre duo.

Puis les choses se gâtèrent. Il commença à oublier de faire les courses… les machines… le ménage. Lui si coquet, était maintenant négligé, il portait des chemises et des costumes froissés. Les journées de télétravail se multiplièrent  et… un jour, il ne sortit plus de son lit.

Heureusement les numéros d’urgence étaient collés sur la porte du frigo, je pus contacter le médecin qui diagnostiqua une dépression.

A partir de ce moment, j’ai coupé tout contact avec maman. Je refusais ses appels et ne lisais pas ses lettres. J’étais trop en colère contre elle.

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Avant de partir pour l’école, je préparais le déjeuner de papa. Je faisais les courses en rentrant et traînais les pieds sur le chemin, car j’appréhendais de retrouver la maison plongée dans l’obscurité. La vaisselle sale débordait de l’évier et la pile de linge sale montait de plus en plus. Je retrouvais mon père, abruti par les médicaments, prostré dans le canapé. Il oubliait souvent le chemin de la salle de bain. Avant de me mettre à faire mes devoirs, je rangeais, nettoyais puis préparais nos sandwichs pour le dîner.

 

Ce soir-là, quand j’ouvris la porte d’entrée, je fus éblouie par le soleil entrant dans la maison, une bonne odeur de propre et de chocolat vinrent chatouiller agréablement mes narines.

 

-     Papa, papa,  tu es guéri ?!

 

Je me précipitais et m’arrêtais net. Tout sourire, mon grand-père, un torchon à la main, sortait de la cuisine.

 

  • Papet, que fais-tu là ??
  • Bonjour ma chérie, fais-moi un bisou, laves-toi les mains et viens prendre ton goûter. Des cookies tout chauds t’attendent. Donne-moi tes courses.
  • Et papa ?
  • Ne t’inquiète pas, il se trouve dans sa chambre, je lui ai fait un lit tout propre.
  • Rassurée, en goûtant, je contemplais la maison rutilante et bien rangée. Papy se mit à plier du linge propre.
  • Si tu as fini, file vite faire tes devoirs. Je t'appellerai pour le dîner.

 

Le lendemain matin, je partis à l’école le cœur léger.

Papet attendit quelques jours puis prit les choses en main.

 

  • Paul, je sais que tu traverses une mauvaise passe. Tu n’as pas encore réussi à faire le deuil de ta mère disparue il y a deux ans. Ta femme est partie travailler loin. Mais je te rappelle que tu as une fille Iris. Elle n’a que 8 ans !!Qui est l’adulte de vous deux ?? Ne penses-tu pas qu’elle a le droit de vivre de façon insouciante comme une enfant de son âge ?!  J’emmène Iris avec moi, les vacances commencent demain. J’ai contacté la directrice de l’école à côté de la maison et elle accepte de prendre ta fille jusqu'à la fin de l’année scolaire. Ana viendra faire le ménage deux fois dans la semaine. Voici le numéro d’une psychologue. Quand tu seras prêt, tu nous rejoindras.

 

Ainsi, je suis partie vivre chez Papet. Papa me manque mais grâce à la visio, on se donne rendez-vous tous les soirs.

Pendant son temps libre, Papet tricote. De jolis petits carrés font office de dessous de table. La théière a revêtu une jolie robe. Les lits et le canapé sont recouverts de jolis plaids faits maison.

 

  • A la mort de ta grand-mère, j’étais inconsolable. Quand je tricote, je m’occupe l’esprit et ai l’impression qu’elle se trouve à mes côtés. Elle aimait beaucoup cette activité. Si tu veux, on peut faire un plaid pour ta chambre. Tu choisiras les couleurs.

 

Je me prends vite au jeu. Les devoirs terminés, je prends mes aiguilles  et crée des carrés. On les a ensuite assemblés et le résultat est bluffant. Mon plaid est un joli camaïeu de mauves.

 

  • Après le point mousse, nous allons attaquer le point jersey et le point de riz.Que dirais-tu d’un pull ?
  • Oh oui pour papa !
  • Je vais t’apprendre à augmenter et à diminuer les mailles. N’oublie pas de lui demander ses mensurations.

 

Papa est arrivé, il a maigri, mais l’étincelle dans ses yeux est revenue et je retrouve mon papa d’antan. Il a décidé de poursuivre sa convalescence avec nous avec l’accord du médecin et de la psychologue. Très fière, je lui offre le pull que j’ai tricoté. Ému, les larmes lui montent aux yeux et il me serre très fort contre lui.

Très vite on l’initie au tricot et il y prend goût. Le soir, les trois générations se retrouvent autour de pelotes et papotent paisiblement.

 

Papet me dit un jour :

 

  • Iris, si tu tricotais quelque chose pour ta maman.
  • Non. Elle nous a abandonnés et papa est tombé malade à cause d’elle. Je la déteste !!
  • Je ne veux pas te forcer ma puce mais tu sais, dans la vie, on n’a qu’une maman. Tu fais des bêtises parfois ?
  • Oui ??
  • On te gronde et ensuite tu es pardonnée ?
  • Oui ??
  • Peut-être que ta maman a fait une grosse bêtise et le regrette maintenant. Avec ton papa, c’est une histoire de grands. Mais toi, tu es une petite fille, tu as deux parents et ils t’aiment. Voici les lettres que ta maman t’a envoyées, elles sont à toi. Si un jour tu veux les lire…

 

J’ai réfléchi aux paroles de Papet et décidé de tricoter une écharpe bleue assortie aux yeux de maman..

Nous avons déménagé et habitons maintenant une petite maison proche de chez papet, ainsi je reste dans la même école. Papa a trouvé un nouveau travail.

Les fêtes de Noël approchent et chacun s’active dans son coin… avec ses aiguilles.

J’ai repris contact avec maman qui a été touchée par mon écharpe.

Le soir du réveillon, nos paquets sont sous le sapin, de délicieuses odeurs s’échappent de la cuisine. Soudain le carillon retentit.

 

  • On attend quelqu’un ?
  • Non.
  • D’accord, je vais ouvrir.

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Qu’elle n’est ma stupéfaction de trouver maman sur le pas de la porte. Elle n’ose avancer, ses yeux brillent et son sourire tremble. Je me retourne et vois les deux compères échanger un regard de connivence. Oubliant mes griefs, je me jette dans ses bras. Elle m’a tellement manqué !

Notre réveillon est gai, heureux que nous sommes de nos retrouvailles. Nous découvrons nos cadeaux et… éclatons de rire. Ils sont tous en tricot, même maman s’y est mise !!

 

Maman repart dans quelques jours pour la capitale norvégienne. Nous avons décidé de nous lancer dans le crochet. En février, nous irons tous les trois à Oslo pour comparer nos ouvrages.

 

La Reinette



14/09/2024
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