Maridan-Gyres

L’aventurier et la princesse

Depuis fort longtemps il est enfermé entre les pages poussiéreuses de ce livre que plus personne n’ouvre.

Lorcan étouffe, il s’ennuie, plus aucun lecteur pour s’extasier devant ses aventures, son ingéniosité. Aussi décide-t-il un beau matin de s’extirper de cet endroit morose, et doucement, à petit pas, il s’extrait de son histoire et quitte toutes ses pages qui ne sont plus lues. Il tente d’emmener ses voisins « mots et verbes », mais aucun ne veut suivre, ils ont peur du dehors.

Tant pis, un peu déçu et triste Lorcan décide de partir seul et dit au-revoir à ses voisins.

Une fois hors de sa page, il mesure la difficulté qui l’attend, mais cela ne lui fait pas peur, il s’est sorti avec panache d’autres dangers. Il étudie avec attention cette montagne de couvertures rigides qui renferment des milliers de pages et commence son escalade périlleuse. Tout autour de lui, il voit des tas d’autres monticules d’ouvrages  et de grandes étendues colorées alignées.

Il a un peu d’appréhension devant cette immensité infinie, et progresse lentement et précautionneusement. Son intuition lui dit qu’au bout de cette escalade il trouvera de la compagnie à qui il pourra narrer son aventure.

Enfin, après d’intenses efforts, il arrive au sommet et qu’elle n’est pas sa surprise de voir un drôle d’animal, très grand et avec deux bosses. Accrochée à son cou,  une belle princesse le regarde de ses yeux tristes.

Lorcan s’approche doucement, cette drôle de bête l’impressionne quand même un peu, mais il veut connaître l’histoire de cette princesse mélancolique et s’enquiert de la cause de son chagrin.

Elle lui répond qu’elle s’appelle Orla, que son ami est un chameau et qu’ils se retrouvent là tout les deux parce qu’un lecteur qui n’aimait pas l’histoire dont elle était le personnage a arraché les pages du livre et les a jeté au gré du vent.

C’est ainsi que nous sommes retrouvés ici Cham et moi. Et toi qui donc es-tu, demande Orla ?

D’où viens-tu, tu parais si fatigué, est-ce que toi aussi on t’a jeté dans le vent ?

Oh que non, je suis Lorcan et je me suis échappé de mon histoire que plus personne ne lisait, je m’ennuyais tout seul. J’ai escaladé de hautes montagnes livresques et me voilà enfin arrivé. Je suis heureux de te rencontrer. Nous pouvons devenir amis et partir tous les trois pour de nouvelles aventures.

Orla est ravie et accepte. Cham peut nous porter tous les deux, mais où allons-nous aller ?

Lorcan a une idée. En montant j’ai vu des rangées de couvertures colorées, poussiéreuses, des livres et des histoires oubliés. Je suis sûr qu’à l’intérieur il y a plein de personnes esseulées, tristes de ne plus être lues.

On va faire le tour, toquer sur ces couvertures et demander à ceux et celles qui s’ennuient de nous rejoindre. Orla adhère à cette idée.

Aussitôt dit, aussitôt fait, nos deux amis s’en vont juchés sur Cham toquer sur  chaque couverture. Certaines restent closes, mais d’autres s’ouvrent et qu’elle n’est pas leur surprise de constater qu’ils sont nombreux les « oubliés », heureux que quelqu’un enfin vienne les réveiller de leur long sommeil et de leur ennui.

Ils sortent les uns après les autres, à nouveau vivants et prêts à vivre de nouvelles aventures avec Lorcan et Orla.

Et s’il s’avère qu’au bout de quelques temps, on les oublie à nouveau sur une étagère ou au fond d’un placard, ou pire enfermés dans un carton, alors ils s’évaderont encore et encore, à l’infini pour qu’à chaque nouvelle sortie une histoire naisse, de nouveaux amis, de nouveaux lecteurs qui se délecteront de leurs aventures.

Les mots, et tous leurs amis vont continuer leur périple jusqu’à la fin des temps, il y aura toujours quelque part un amoureux des livres.

Pivoine