Atelier 12 - 2023 - Sujet 4
LMDM – 12-4
19 Juillet 2023
Mamie
Mon rire fit écho à celui de Mamie.
Quand Mamie riait, c’était comme une cascade qui dévalait des rochers.
Et c’était bon de l’entendre rire, cette vieille dame aux mains tachées, ridées, déformées, percluses de rhumatismes.
Mamie ne se plaignait jamais.
L’importance et le rôle des grands-parents est souvent considérable dans la vie d’un enfant.
Les parents sont affairés, préoccupés par leur travail, leurs finances, la gestion de leur maison et de leur marmaille, ils courent toujours.
Les anciens ont le temps.
Ils prennent le temps d’écouter, d’observer.
Leur vieillesse rassure la jeunesse.
« Je ne suis rien qu’un bon vieux sourire entêté.
Ces chers petits ! Je suis grand-père sans mesure
En me voyant si peu redoutable aux enfants,
Et si rêveur devant les marmots triomphants,
Les hommes sérieux froncent leurs sourcils mornes.
Un grand-père échappé passant toutes les bornes,
C’est moi. »
(Victor HUGO, L’Art d’être Grand-Père, 1865)
Mamie était la seule aïeule qui me restait.
Les trois autres étaient partis, incapables d’attendre le petit dernier que j’étais.
Alors, sans en avoir l’air, Mamie m’enseignait le droit chemin, celui qu’elle voulait que je prenne.
Elle me perçait à cœur.
S’il m’arrivait d’embobiner les adultes, je savais qu’elle ne serait jamais dupe, qu’avec elle mes ruses d’enfant ne marcheraient pas.
Mamie habitait une jolie petite maison simple, à deux cent mètres de la nôtre.
Je descendais dans sa cave et lui remontait le seau de boulets de charbon qu’elle introduisait dans sa cuisinière en fonte.
Je m’amusais de les observer rougeoyer.
Sur le mur de la salle à manger pendaient d’étranges objets, de grandes pipes à opium en argent que son militaire de mari avait ramené de ses missions en Indochine.
Maman disait que grand-père, le père-je-sais-tout, était mort à soixante-dix ans, désespéré de voir sa femme gravement malade du pancréas : « On se préparait tous à voir partir Mamie, et c’est ton grand-père qu’on a enterré. Il a fait une attaque, il est mort d’amour ».
Ainsi, on pouvait donc mourir d’amour...
Mamie était solide, elle avait survécu.
Elle m’observait, suivait mes devoirs.
Elle nous gâtait avec ses gaufres, son gaufrier en fonte si lourd qu’à la fin, elle n’arrivait plus à le retourner sur le gaz.
Nous dûmes nous contenter de crêpes, de pain perdu, des cerises et des pommes de son jardin.
Les jours de fête, elle préparait les plats de sa région d’origine, le pâté ardennais, la salade au lard, la tarte au sucre.
Grand-mère et grand-père avaient fui les Ardennes à la fin de la première guerre mondiale, lassés d’être envahis puis occupés par les allemands.
Elle ne me passait rien, elle m’aimait et avait à cœur de me transmettre les valeurs qui étaient les siennes.
Elle jouait le rôle d’ange gardien, sachant fort bien à qui elle avait affaire.
Cette vieille pomme ridée était mon « Jiminy Cricket ».
Aujourd’hui grand-père facétieux et joueur, je me souviens de Mamie,
de son rire en cascade qui dévalait les rochers.
Comme elle, j’ai souci de transmettre.
Survivrai-je longtemps dans la tête de mes petits-enfants ?
Se souviendront-ils de mon rire tonitruant qui les faisait sursauter ?
JeanBat
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