Atelier 12 - 2020 - sujet 4
Il avance… seul dans cette mer d’huile. Son humeur morose est accompagnée d’un nuage aux tonalités chaudes qui semble se moquer de son parapluie tendu vers le ciel. L'argent que lui rapportent ces séances photos lui donne les clefs de sa future liberté.
La nuit approche et avec elle son cortège de misère. Cette cité de béton lui a dérobé son amour… Là, dans ces bâtiments sans âme, la terreur règne.
Et pourtant… Il suffit de regarder le ciel pour croire encore que ce monde peut être beau. Ce soir, un vol d’étourneaux tournoyait au-dessus de lui et semblait l’accompagner vers la mer.
Il avait tant travaillé. Il voulait tout lui offrir, elle qui ne demandait jamais rien. Il rêvait de déposer le monde à ses pieds. Il avait œuvré avec acharnement de 15 à 17 heures par jour. Il bâtissait jour après jour leur bel avenir.
Elle, elle rêvait de nature, de laisser courir leur enfant en toute liberté sans s’inquiéter des chauffards, des dealers et de tout ce que le téléviseur déversait chaque jour comme nouvelles anxiogènes dans leurs vies. Elle lui racontait, chaque soir après le boulot, ce qu’elle ferait avec leur petit garçon. Ils savaient que ce serait un petit homme depuis trois semaines. Comment il cavalerait après les cerfs-volants qu’elle fabriquerait pour lui…
Oui mais voilà, une fois de plus, il s’était absorbé dans sa mission et pour ne pas être dérangé, il avait mis son téléphone en silencieux. Sa secrétaire était partie à 18h comme ses autres collègues et il s’était acharné sur ce maudit dossier qu’il devait rendre le lendemain matin. Sa femme en était à son sixième mois de grossesse et tout se passait bien. Comment aurait-il pu imaginer ?
Ils avaient emménagé dans ce loft qui avait été refait à neuf, deux mois plus tôt. Malheureusement, ils n’étaient que deux propriétaires, pour l'instant, à avoir investi dans ce luxueux building. Laetitia avait bien tenté d’aller voir leur voisin, mais il était sorti. Lorsque il était rentré chez lui, il l’avait trouvée allongée près du téléphone. Elle avait réussi à joindre les secours qui n’étaient toujours pas là.
Il l’avait conduite aux urgences avec une angoisse qui lui broyait le ventre. Le médecin était revenu le voir peu après pour lui dire que l’enfant était mort né et que sa femme luttait, mais que le risque vital était engagé. Il l’avait veillée toute la nuit, la suppliant de s’accrocher… Il lui avait promis de changer de travail, d’être toujours disponible pour elle. Mais rien n’y avait fait. Au matin, il avait perdu la femme qu’il aimait et l’enfant qu’elle portait.
Désespéré, il avait tout plaqué. Vendu son loft, quitté son emploi, puis il avait pris un sac à dos et il avait marché longtemps sans trop savoir où ses pas le conduiraient. Plus il marchait, plus il avait l’impression que sa femme l’accompagnait. Les gens le prenaient pour un fou, parce qu’il lui parlait. Il n’aspirait qu’à les rejoindre, elle et leur enfant !
Une nuit, il l’avait vue en songe. Prostrée au sol, des larmes ruisselaient sur son beau visage tandis qu’autour d’elle, tous les coquelicots quittaient le sol pour s’élever dans les airs. Il s’était approché tout doucement d’elle et lui avait parlé.
- Pourquoi pleures-tu, mon amour ?
- Je voulais tant vivre avec toi et notre enfant, mais la vie en a décidé autrement et toi, que fais-tu de cette vie que tu as encore ?
- Je veux te rejoindre, le monde sans toi n’a plus de valeur !
- Non, tu ne me retrouveras pas ! Qu’auras-tu à me dire lorsque nous nous retrouverons ? Que face à ta douleur… Tu as abandonné ! Je veux que tu vives intensément, furieusement et quand l’heure sera venue, tu auras plein de choses à me raconter. Je veux que tu me dises tout ce que tu as fait, bâti, construit. Je veux savoir que tu as aimé à nouveau et que tu as eu des enfants. Nous avons tous un chemin à emprunter et la mort ne doit jamais être l’option que nous choisissons. Sois fort et tu auras le monde à me faire partager, car n’en doute jamais… la route ne s’arrête pas à la disparition de nos corps. L’éternité est à notre portée.
Elle avait posé ses jolies lèvres sur les miennes et il s’était réveillé apaisé.
Depuis, il voyage, il découvre le monde. Il apprend des autres cultures et ce matin, il est parti pêcher avec ses nouveaux amis, les Inuits. Il espère qu’ils ne tarderont pas à repasser, car il n'est pas aussi résistant qu’eux aux froids d’ici. En plus le bloc de glace sur lequel il avait fait son trou s’est détaché de la banquise. Alors il ignore si ce soir, il partagera leur repas dans leur igloo, ou si ce sont les bras de Laetitia qui le réveilleront.
Maridan
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