Atelier 12 – 2019 – 1er sujet :
Écrire une lettre aux membres de votre famille avec la contrainte suivante : Utiliser au moins 5 mots du Dictionnaire des Mots Inventés
Ermitage-sur-Lez, le 12 mai 2019
Chers Membres de notre Grande Famille, Chers Vous tous,
J’espère que vous allez tous bien, là où vous êtes, éparpillés en ce moment sur quatre continents.
Merci infiniment pour toutes ces belles photos de la toute dernière génération. Tous ces bambins, qu’ils sont beaux et bien portants ! J’en suis toute plectrisse devant leurs images. Émue jusqu’aux larmes, je me console en me disant que dorénavant je pourrais partir à tout moment, le cœur tranquille et la tête haute. La relève est déjà toute assurée.
Néanmoins, il y a quelques points d’inquiétude de ma part [(même si ma confiance en votre sagesse (héritée entre autres de la réputation générationnelle familiale) est totale et ne souffre d’aucune exception)] concernant certains d’entre vous, notamment parmi les jeunes, qui êtes d’invétérés nebulitus. La nuit et ses dangers d’addiction à toutes sortes d’abus toxiques. L’apprenant, je suis toute péfrige7 , moi qui étais épousaillée jeune et à qui tout comportement primiforme9 se devait d’être banni.
Pour l’harmonie familiale, ne soyez pas epinol2 quand je vous conseille en outre d’éviter certaines personnes, bien connues dans notre milieu pour être de véritables aligotorus3 par leur attitude narcissique perverse.
Tous ces conseils affectueux n’ont pas d’autre but que cet ardent désir de vous savoir, tous, bien en phase avec vous-mêmes, tant dans votre vie personnelle que professionnelle. Qu’elle vous soit douce et sans embûches d’aucune sorte !
Ceci dit, je me dois en ce moment de revenir sur l’imbrication de nos deux histoires, celle immense et douloureuse du Viêt Nam et celle, ramiscile10 de notre grande et vieille famille. Certes plus modeste mais elle est tout aussi tortueuse et torturante. Qu’ils étaient nombreux ces évènements filichards4 qui abîmaient la sérénité de nos anciens !
Nullement itinétique5, je me dois de me plonger à présent dans la lecture de divers ouvrages. Les uns arides mais éclairants et d’autres plus accessibles par le romanesque. Vaste programme. Vais-je parvenir à rassembler tous ces ingrédients pour aider ma propre mémoire à trouver ses repères ? Le doute, insidieux, persiste.
Dernièrement, en rangeant mes dossiers, je suis tombée sur la couverture de Science & Vie, n° 1212 de septembre 2018, qui annonce que pour la « Mémoire, on a découvert les molécules des souvenirs », grâce à ce nouvel axe de recherche qu’est l’épigénétique. Quelle fabuleuse découverte !
Comme j’aimerais pouvoir accéder à ces molécules susceptibles d’apporter quelques améliorations à ma mémoire défaillante ! Elle continue à me faire des tours de cache-cache comme si mon cerveau avait subi une opération qui ne s’était pas bien passée, entraînant dans son sillage des séquelles irréversibles. Si telle réminiscence s’y couche immuable comme l’insecte encastré dans l’ambre, d’autres souvenirs, par légions entières, refusent d’office de manifester le moindre désir de revenir s’y exposer malgré mes appels, prières et autres incantations.
Et puis il y a cette souffrance à me replonger dans ces non-dits, dans ces souvenirs collés aux soubresauts politiques meurtriers d’un pays confronté à de filichardes4 calamités insupportables. Et la douleur me revient, lancinante. Comme un boomerang dans mon cœur bien chancelant en ce moment.
Il y a quelques années, Anne-Marie m’a offert le livre phare de Gao Xingjian
« La montagne de l’âme ». A l’époque, préoccupée par diverses charges mentales incompressibles, je l’avais lu en diagonal, me promettant d’entamer plus tard une relecture plus digne une fois mon temps libéré de toute contrainte.
La promesse vient d’être réalisée, jeudi dernier vers quatre heures du matin.
Quoi de plus aboutissant que ce rappel des mots marquants issus de
l’Invitation au voyage (Baudelaire) et de La montagne de l’âme. D’où ces mots sortis de ma respiration :
Les mots de l’âme
Alors qu’un voyage s’invite
« La montagne de l’âme » s’achève.
Longuement lus
Les mots se cueillent
Mûrs et têtus
Dans le luxe solaire
Par-delà le calme lunaire.
Enhardis par ce faste,
Descellés,
Décryptés,
Ils partent à la trace
De temps masqués
De temps volés
De la grande histoire néfaste.
Pareils aux vagues sur la grève
S’écrivant
Ils s’en approchent
S’écrivant
Ils s’en éloignent.
Telle l’écume des jours
Ils lâchent sans détour
Les ineffables croyances
En cours de cadence
D’un insondable grimoire
Où contrits par la vie
Mais désormais remplis
D’espoirs
Ils s’épanchent
Sur les non-dits
De la petite histoire.
Semblables à la sève au printemps
Ils s’abreuvent aux sources
De l’écoute accueillante
Du clan.
L’ordre des mots rescapés
Beauté des mots trouvés
Volupté des mots libérés.
Dans sa méditation sur la mort et donc sa réflexion sur la vie, François Cheng a eu ces mots : « Vivre : mûrir, périr », rejoignant probablement Shakespeare pour qui « Ripeness is all ».
Périr : ça n’a jamais été dans mes intentions.
Mais mûrir : ça oui et avec le temps qui me reste, «
Gao Xingjian a déclaré qu’il aurait, grâce à l’écriture de ce long roman,
« Réglé ses comptes avec la nostalgie du pays natal »
Illustration : Oeuvre de GAO XINGJIAN
Comme c’est juste !
Et dire que jusqu’ici, je n’ai pas trouvé la phrase exacte qui correspond à mon ressenti, si semblable au sien.
Là, c’est fait.
Grâce à la présence de Vous tous dans mon cœur.
Elfina
Ermitage-sur-Lez
12/05/2019
Les dix mots utilisés du Dictionnaire des Mots Inventés par :
- Aligotorus (Marie) : croqueur de cervelle
- Epinol (François) : froissé
- Epousaillée (Claudine) : épousée à l’ancienne
- Filichard (François) : violent
- Itinétique (Claire) : se dit d’une personne expérimentée, experte dans son domaine
- Nebulitus (Marie) : personne qui vit la nuit
- Péfrige (Claire) : stupéfié
- Plectrisse (Claire) : attendri, ému
- Primiforma (François) : extravagant
- Ramiscile (François) : inédite
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