Maridan-Gyres

Le clandestin et sa bonne fée.

La première fois que je l‘ai vue, elle portait un plateau d’oranges et un grand thermos, toute proprette dans son petit manteau de laine grise un peu pailleté comme pour une fête.

Elle s’est approchée de moi assis au pied d’un immeuble sur des marches froides et humides enveloppé d’une veille couverture déchirée.

Je dormais parfois dans un squat, mais la promiscuité et la compagnie avinée me faisait préférer la rue. 

Elle m’a demandé si je voulais quelques fruits et une soupe. Elle a sorti de son sac à dos un grand gobelet. J’étais heureux de me réchauffer un peu et de manger.

Depuis des jours j’observais des corbeaux qui sautillaient sur un espace d’herbe rase et s’emparaient de bouts de pains rassis laissés là pour les pigeons, lesquels rassasiés voletaient ailleurs.

J’aurais voulu être un pigeon à ce moment-là !

Elle m’a dit qu’elle rejoignait une association pour distribuer des vivres. Elle était en avance et nous avons bavardé un long moment. J’étais confiant, car c’est ma nature. Elle m’a promis qu’elle reviendrait.

Elle venait tous les jours. Je vivais au rythme de ses visites. Nous avons vraiment sympathisé.

Je lui ai raconté mon pays tyrannisé par un dictateur qui n’autorisait que l’art de propagande et avait notamment censuré les livres. Je lui ai raconté ma fuite de musicien harcelé par le régime totalitaire…les crimes d’état, la misère et le dénuement de la population dont aucune radio ni télé ne parlaient.

J’étais donc clandestin, j’avais jusque-là échappé au contrôle par chance comme si un ange gardien me protégeait et ce fût vrai.

Elle m’a présenté à son association et après bien des démarches j’ai obtenu un droit d’asile.

J’ai pu rejoindre un monde libre, commencer à vivre à mon gout et cesser de raser les murs en tremblant, grâce à celle qui est venue vers moi un jour dans cette rue battue par le vent glacial de l’hiver.

Clohe